Page:Liszt - F. Chopin, 1879.djvu/186

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épancha son cœur dans ses compositions, comme d’autres l’épanchent dans la prière, y versant toutes ces effusions refoulées, ces tristesses inexprimées, ces regrets indicibles, que les âmes pieuses versent dans leurs entretiens avec Dieu. Il disait dans ses œuvres, ce qu’elles ne disent qu’à genoux : ces mystères de passion et de douleur qu’il a été permis à l’homme de comprendre sans parole, parce qu’il ne lui a pas été donné de les exprimer en paroles.

Le souci que Chopin prit d’éviter ce zigzag de la vie, que les allemands appelleraient anti-esthétique, (unâsthetisch) ; le soin qu’il eut d’en élaguer les horsd’œuvres, l’émiettement en parcelles informes et insubstantielles, en a éloigné les incidens nombreux. Quelques lignes vagues enveloppent son image comme une fumée bleuâtre, disparaissant sous le doigt indiscret qui voudrait la toucher et la suivre. Il ne s’est mêlé à aucune action, à aucun drame, à aucun nœud, à aucun dénoûment. Il n’a exercé d’influence décisive sur aucune existence. Sa passion n’a jamais empiété sur aucun désir ; il n’a étreint, ni massé, aucun esprit par la domination du sien. Il n’a despotisé aucun cœur, il n’a posé une main conquérante sur aucune destinée : il ne chercha rien, il eut dédaigné de rien demander. Comme du Tasse, on pouvait dire de lui :

Brama assai, poco spera, nulla chiede.

Mais aussi, échappait-il à tous les liens, à tous les