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de plus injuste. Par intervalle, l’on croit voir passer des groupes magnifiques, tels que les peignait Paul Véronèse. L’imagination les revêt du riche costume des vieux siècles : épais brocarts d’or, velours de Venise, satins ramages, zibelines serpentantes et moelleuses, manches accortement rejetées sur l’épaule, sabres damasquinés, joyaux splendides, turquoises incrustées d’arabesques, chaussures rouges du sang foulé ou jaunes comme l’or ; — guimpes sévères, dentelles de Flandres, corsages en carapace de perles, traînes bruissantes, plumes ondoyantes, coiffures étincelantes de rubis ou verdoyantes d’émeraudes, souliers mignons brodés d’ambre, gants parfumés des sachets du sérail ! Ces groupes se détachent sur le fond incolore du temps disparu, entourés des somptueux tapis de Perse, des meubles nacrés de Smyrne, des orfèvreries filigranées de Constantinople, de toute la fastueuse prodigalité de ces magnats qui puisaient le Tokay dans des fontaines artistement préparées, avec leurs gobelets de vermeil bosselés de médaillons ; qui ferraient légèrement d’argent leurs coursiers arabes lorsqu’ils entraient dans les villes étrangères, afin qu’en se perdant le long des voies les fers tombés témoignent de leur libéralité princière aux peuples émerveillés ! Surmontant leurs écussons de la même couronne que l’élection pouvait rendre royale, les plus fiers d’entr’eux méprisaient les autres. Ils ne portaient qu’elle seule, comme insigne de leur glorieuse égalité, au dessus de leurs ar-