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Page:Louis Delaporte - Voyage d'exploration en Indo-Chine, tome 1.djvu/344

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marchandises. Celui-ci avait à bord une véritable colonie de bonzes et autres indigènes qui, partis de Luang Prabang, allaient visiter le sanctuaire célèbre de Peunom. On se rappelle sans doute le trait d’héroïque piété que ce lieu sacré avait inspiré à notre trucheman Alévy. Nous souhaitâmes aux dévots pèlerins une interprétation moins sévère des volontés du Bouddha.

Le fleuve conservait la physionomie plus paisible qu’il avait revêtue aux environs de Xieng Cang. Son lit, beaucoup plus étroit, était en entier occupé par ses eaux ; c’est à peine si, de loin en loin, une assise de roches traversant le fond venait produire une légère accélération dans la vitesse du courant. La profondeur, au lieu de présenter les énormes inégalités des jours précédents, se maintenait d’une façon régulière entre 10 et 12 mètres. Notre navigation était aussi facile et aussi rapide qu’elle avait été pénible et lente entre Vien Chan et Xieng Cang.

À quelques milles en aval de Xieng Cang, nous passâmes devant l’embouchure du Nam Leui, affluent de la rive gauche. Cette rivière avait été reconnue déjà par Mouhot ; mais ses notes n’en indiquaient pas sans doute assez clairement la direction, et sur la carte de son voyage, on l’a fait couler vers le sud, en sens inverse de son cours véritable. Cette erreur, que sa mort prématurée et si regrettable explique aisément, prouve combien il est difficile à tout autre qu’à celui qui les a prises, de tirer parti de notes de voyage, écrites à la hâte et pleines de sous-entendus et d’abréviations. Depuis que nous nous rapprochions de l’itinéraire suivi par l’infortuné naturaliste, nous étudiions chaque soir sa carte avec le plus grand soin pour contrôler les renseignements des indigènes. La position de Leui, centre d’une exploitation importante de fer magnétique qui était à deux jours de marche dans le sud-est par rapport à nous, était évidemment indiquée trop au nord sur cette carte. Mais l’épreuve décisive du degré de certitude que pouvait présenter le travail géographique de Mouhot devait être faite à Pak Lay, point où la route de la Commission française et la sienne allaient se croiser pour la première fois.

À partir de l’embouchure de Nam Leui, le fleuve contourne une série de collines isolées, d’origine calcaire, autour desquelles il forme des lacets comparables aux méandres de la Seine aux environs de Paris. Au sommet de l’une de ces courbes, il reçoit le Nam Ouang, rivière aussi considérable que le Nam Leui, qui vient de Kentao, chef-lieu de district situé à une dizaine de lieues dans le sud-est. Kentao et Muong Leui dépendent de la grande province de Petchaboun. Nous nous trouvions en ce moment à un degré environ à l’est du méridien de Bankok, c’est-à-dire presque droit au nord et à une centaine de lieues de cette dernière ville. Nous nous expliquions comment Mouhot, qui était parti de Bankok, n’avait eu à faire, dans l’intérieur du Laos, pour rejoindre le Cambodge, que les deux cinquièmes environ de la route que nous avions dû parcourir, depuis Pnom Penh, pour arriver au même point.

Le 16 avril au matin, la rive gauche du fleuve s’aplanit et les chaînes de collines s’en éloignèrent. Comme s’il avait retrouvé soudain sa liberté d’action, le Mékong se redressa vers le nord et se maintint dans cette direction en ne présentant plus que des inflexions insignifiantes. Il y avait six semaines que nous n’avions eu l’heur de suivre une pareille