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LA PHARSALE.


rible Hesus[1] sur son autel sauvage, et Taranis[2], non moins cruel que la Diane scythique. Et vous, dont les chants de gloire rappellent au lointain avenir la mémoire des fortes âmes disparues dans les combats, bardes, vous épanchez sans crainte voire veine féconde ! Druides, vous redemandez à la paix vos rites barliares et vos abominables sacrifices. À vous seuls il appartient de connaître les dieux du ciel, ou de les raéconnoitre. Les bois profonds sont vos retraites sacrées. .Selon vous, les ombres ne descendent pas au silencieux Érèbe, au pà’e royaume de Pluton ; le même souffle ranime nos corps dans un autre monde, el la mort (si vos chants nous sont biens connus) n’est que le milieu d’une longue vie. Peuples du nord, heureux de ce mensonge ! la plus grande des craintes, celle de la mort, ne vous tourmente pas ! De là, cette ardeur vaillante qui se jette sur le fer, ce courage qui embrasse le trépas, et ce dédain prodigue d’une vie qui sera rendue. Et vous, notre rempart contre les Germains chevelus, vous suivez les bords du Rhin sauvage et marchez sur Rome. Le monde est ouvert aux nations.

Tant de forces rassemblées donnent à César plus d’audace et de confiance ; il se répand dans l’Italie et remplit de troupes les villes voisines. La Renommée menteuse ajoute à de justes craintes, épouvante la multitude, annonce les futures défaites, et, messagère rapide de la guerre qui s’approche, ouvre cent bouches pour répandre ses fausses alarmes. Dans les vastes plaines où paissent les taureaux de Mévanie[3] on a vu se précipiter au combat d’intrépides bataillons : aux lieux où le Nard vient tomber dans le Tibre, on a vu s’étendre les ailes barbares de l’armée rebelle. César lui-même s’avance avec toutes ses aigles, toutes ses enseignes réunies, toutes ses armées, à la tête de ses bataillons épais. Ils le ne voient plus tel qu’ils l’ont connu : ils se le figurent grandi, féroce, et plus barbare que les nations qu’il a vaincues. À sa suite marchent tous ces peuples répandus entre les Alpes et le Rhin, sous les glaces de l’Ourse, hordes sauvages arrachées aux toits de leurs pères, qui viennent, aux ordres de César, saccager la ville sacrée sous les yeux des Romains.

Ainsi chacun, par ses craintes, prête des forces à la Renommée ; sans que personne ait été témoin de ces calamités, chacun s’effraie de ce qu’il rêve. Et ce n’est pas le seul vulgaire que font pâlir ces aveugles terreurs : les pères ont déserté la curie et leurs siéges, et le sénat lègue en fuyant aux consuls son funeste décret de guerre. Alors, ne sachant où la retraite est la plus sûre et le danger plus menaçant, ils vont où les emporte leur fuite rapide, pressent les flots de la multitude, et traversent ces troupeaux de fugitifs qui prolongent au loin leurs colonnes serrées. On dirait que des flammes sacrilé-

  1. Mars des Gaulois.
  2. Jupiter des Celtes.
  3. Ville d’Ombrie, aujourd’hui Bevagna.