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LA PHARSALE.


dans le sein de la victime égorgée. Nous craignons des malheurs inouïs, mais nos malheurs dépasseront nos craintes. Que les dieux nous rendent les auspices favorables ; que mon art soit un mensonge, et Tagès, mon maître, un imposteur ! » Tels étaient les présages ambitieux que le Toscan enveloppait de ténèbres et couvrait de mille voiles.

Mais Figulus(8), auquel une longue étude a fait connaître les dieux elles arcanes du ciel, qui, mieux que l’Égyptienne Memphis, sait observer les étoiles et le rhythme cadencé des planètes, Figulus s’écrie : « Ou ce monde erre sans loi dans l’éternité, et les astres s’égarent suivant le jeu du caprice, ou, si le destin les guide, le temps est venu de cette désolation qui menace Home et le genre humain. Les terres s’ouvriront-elles pour engloutir les villes ? L’air s’embrasera-t-il sous les feux de Titan ? Le sol infidèle nous refusera-t-il ses moissons ? Toutes les sources mêleront-elles les poisons à leurs eaux ? Dieux, quels désastres, quels fléaux nous prépare votre colère ! Pour combien d’infortunés sonne en même temps la dernière heure ! Si l’étoile glacée de Saturne allumait au plus haut des cieux les pâles rayons de sa fatale lumière, le Verseau épancherait les pluies de Deucalion et la terre disparaîtrait sous l’abîme des eaux. Phébus, si tu poursuivais de tes rayons le farouche lion de Némée, tes feux découleraient sur l’univers entier, et l’éther enflammé brûlerait sous ton char. Mais le ciel est vide de ces présages. Toi qui embrases de ta queue ardente les pinces menaçantes du Scorpion, Mars, quels grands malheurs nous réserves-tu ? Le bienveillant Jupiter est plongé dans sa profonde couche ; l’étoile salutaire de Venus luit à peine ; le rapide Mercure s’arrête dans son vol ; Mars occupe seul le ciel. Les autres astres ont abandonné ; leurs éclipses et se traînent sans lumière dans le monde ; et l’épée d’Orion brille d’un éclat inaccoutumé. La guerre approche avec ses fureurs ; la puissance du glaive va confondre tous les droits ; aux plus grands crimes on donnera le nom de vertu, et cette rage durera de longues années. Mais que sert-il, ô dieux ! de vous en demander la fin ? avec la paix nous vient un maître. Rome, prolonge l’éternel enchaînement de tes calamités ; traîne-toi d’âge en âge à travers les ruines ; tu n’es libre désormais que par la guerre civile. »

Ces présages n’épouvantaient que trop le vulgaire timide : mais de plus terribles viennent l’accabler. Telle des sommets du Pinde accourt la Ménade pleine de Bacchus, telle à travers la ville alarmée se précipite une matrone, trahissant par ses cris l’esprit de Phébus qui la dévore : — « Pæan, où suis-je entraînée ? sur quelle terre m’enlèves-tu par delà les étoiles ? Je vois les blanches cimes du Pangée couronné de ses neiges, et les vastes plaines de Philippes, au pied de l’Hémus. Dis-moi,