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Page:Mémoires du Baron de Marbot - tome 1.djvu/112

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MÉMOIRES DU GÉNÉRAL DE MARBOT.

riers par une honteuse retraite, dont le résultat serait de se faire rejeter en France derrière le Var. Mon père se prépara donc à partir dès que le général Masséna, nommé pour le remplacer, serait arrivé, et il dépêcha pour Paris M. Gault, son aide de camp, afin d’y acheter des cartes et faire divers préparatifs pour notre campagne sur le Rhin. Mais le destin en avait décidé autrement, et la tombe de mon malheureux père était marquée sur la terre d’Italie !

Masséna, en arrivant, ne trouva plus que l’ombre d’une armée : les troupes sans paye, presque sans habits et sans chaussures, ne recevant que le quart de la ration, mouraient d’inanition ou bien d’une épidémie affreuse, résultat des privations intolérables dont elles étaient accablées ; les hôpitaux étaient remplis et manquaient de médicaments. Aussi des bandes de soldats, et même des régiments entiers, abandonnaient journellement leur poste, se dirigeant vers le pont du Var, dont ils forçaient le passage pour se rendre en France et se répandre dans la Provence, quoiqu’ils se déclarassent prêts à revenir quand on leur donnerait du pain ! Les généraux ne pouvaient lutter contre tant de misère ; leur découragement augmentait chaque jour, et tous demandaient des congés ou se retiraient sous prétexte de maladie.

Masséna avait bien l’espoir d’être rejoint en Italie par plusieurs des généraux qui l’avaient aidé à battre les Russes en Helvétie, entre autres par Soult, Oudinot et Gazan ; mais aucun d’eux n’était encore arrivé, et il fallait pourvoir au besoin pressant.

Masséna, né à la Turbie, bourgade de la petite principauté de Monaco, était l’Italien le plus rusé qui ait existé. Il ne connaissait pas mon père, mais à la première vue il jugea que c’était un homme au cœur magnanime, aimant sa patrie par-dessus tout, et pour l’engager à