Aller au contenu

Page:Mémoires du Baron de Marbot - tome 1.djvu/152

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
132
MÉMOIRES DU GÉNÉRAL DE MARBOT.

passés, ― ils passent vite à cet âge, ― il me tardait de me mettre en route pour m’éloigner du général Bernadotte dont je croyais avoir à me plaindre. J’avais très peu d’argent, mon père en avait souvent prêté à ce général, surtout lorsqu’il fit l’acquisition de la terre de Lagrange ; mais bien qu’il sût que le fils de son ami, à peine remis d’une récente blessure, allait traverser une grande partie de la France, la totalité de l’Espagne, et devait en outre renouveler ses uniformes, il ne m’offrit pas de m’avancer un sou, et pour rien au monde je ne le lui aurais demandé. Mais fort heureusement pour moi, ma mère avait à Rennes un vieil oncle, M. de Verdal (de Gruniac), ancien major au régiment de Penthièvre-infanterie. C’était auprès de lui que ma mère avait passé les premières années de la Révolution. Ce vieillard était un peu original, mais fort bon : non seulement il m’avança l’argent dont j’avais grand besoin, mais il m’en donna même de sa propre bourse.

Bien qu’à cette époque les chasseurs portassent le dolman des housards, si ce n’est qu’il était vert, je fus assez peu raisonnable pour verser quelques larmes, quand il me fallut quitter l’uniforme de Bercheny et renoncer à la dénomination de housard pour devenir chasseur !… Mes adieux au général Bernadotte furent assez froids. Il me donna des lettres de recommandation pour Lucien Bonaparte, alors ambassadeur de France à Madrid, ainsi que pour le général Leclerc, commandant de notre armée de Portugal.

Le jour de mon départ, tous les aides de camp se réunirent pour me donner à déjeuner ; puis je me mis en route le cœur fort gros. J’arrivai à Nantes après deux jours de marche, brisé de fatigue, souffrant de mon côté, et bien persuadé que je ne pourrais jamais supporter le cheval pendant les quatre cent cinquante lieues