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Page:Mémoires du Baron de Marbot - tome 1.djvu/153

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DE BREST A SALAMANQUE.

que j’avais à faire pour parvenir aux frontières du Portugal. Je trouvai précisément chez un ancien camarade de Sorèze, qui habitait Nantes, un officier espagnol nommé don Raphaël, qui rejoignait le dépôt de son régiment en Estramadure, et il fut convenu que je le guiderais jusqu’aux Pyrénées, et que là il prendrait la direction du voyage que nous devions faire ensemble.

Nous traversâmes en diligence toute la Vendée, dont presque tous les bourgs et villages portaient encore les traces de l’incendie, bien que la guerre civile fût terminée depuis deux ans. Ces ruines faisaient peine à voir. Nous visitâmes la Rochelle, Rochefort et Bordeaux. De Bordeaux à Bayonne, on allait dans des espèces de berlines à quatre places qui ne marchaient jamais qu’au pas dans les sables des Landes ; aussi mettions-nous souvent pied à terre, et, marchant gaiement, nous allions nous reposer sous quelque groupe de pins ; alors, assis à l’ombre, don Raphaël prenait sa mandoline et chantait. Nous mîmes ainsi cinq ou six jours pour gagner Bayonne.

Avant de passer les Pyrénées, je devais me présenter chez le général commandant à Bayonne. Il se nommait Ducos. C’était un excellent homme qui avait servi sous mon père. Il voulait, par intérêt pour moi, retarder de quelques jours mon entrée en Espagne, parce qu’il venait d’apprendre qu’une bande de voleurs avait détroussé des voyageurs non loin de la frontière. De tout temps, même avant les guerres de l’Indépendance et les guerres civiles, le caractère aventureux et paresseux des Espagnols leur a donné un goût décidé pour le brigandage, et ce goût était entretenu par le morcellement du pays en plusieurs royaumes, qui, ayant formé jadis des États indépendants, ont chacun conservé leurs lois, leurs usages et leurs frontières respectives. Quelques-uns de ces anciens États sont soumis aux droits de douane,