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Page:Mémoires du Baron de Marbot - tome 1.djvu/168

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MÉMOIRES DU GÉNÉRAL DE MARBOT.

qu’ils ne savaient pas leur théorie ou faisaient des fautes à la manœuvre ; mais il ne les punissait jamais pour cela. Nous étions trois sous-lieutenants qu’il avait distingués : c’étaient MM. Gaviolle, Demonts et moi ; à ceux-là il ne passait pas un commandement inexact et nous mettait aux arrêts pour les fautes les plus légères. Comme il était fort bon en dehors du service, nous nous hasardâmes à lui demander pour quel motif il réservait sa sévérité pour nous : « Me croyez-vous assez sot, nous répondit-il, pour m’amuser à savonner la figure d’un nègre ?… Messieurs tels et tels sont trop âgés et n’ont pas assez de moyens, pour que je m’occupe à perfectionner leur instruction. Quant à vous, qui avez tout ce qu’il faut pour parvenir, il vous faut étudier, et vous étudierez !… »

Je n’ai jamais oublié cette réponse, que je mis à profit lorsque je fus colonel. Il est de fait que le vieux Blancheville avait bien tiré l’horoscope des trois sous-lieutenants, car nous devînmes : Gaviolle lieutenant-colonel, Demonts général de brigade, et moi général de division.

À mon arrivée à Toulouse, j’avais troqué contre un charmant navarrais le cheval que j’avais acheté en Espagne ; or, comme le préfet avait organisé des courses à l’occasion de je ne sais plus quelle fête, Gaviolle, très amateur de courses, y avait fait inscrire mon cheval. Un jour où j’entraînais mon animal sur le boulingrin, il s’engagea dans le cercle peu développé que formait cette allée, et, courant droit devant lui, avec la rapidité d’une flèche, il alla se frapper le poitrail contre l’angle aigu d’un mur de jardin ; il tomba raide mort !… Mes camarades me crurent tué, ou du moins fortement blessé ; mais, par un bonheur vraiment miraculeux, je n’avais pas la plus petite égratignure ! Lorsqu’on me releva, et que j’aperçus mon pauvre cheval sans mouvement, j’éprou-