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Page:Mémoires du Baron de Marbot - tome 1.djvu/230

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MÉMOIRES DU GÉNÉRAL DE MARBOT.

d’Espagne tous les vaisseaux disponibles, et de se diriger, non sur Boulogne, mais sur la Martinique, où il était certain que les flottes anglaises le suivraient. Pendant qu’elles courraient aux Antilles, Villeneuve devait quitter ces îles avant l’arrivée des Anglais et, revenant par le nord de l’Écosse, rentrer dans la Manche par le haut de ce canal avec soixante vaisseaux, qui, battant facilement les quinze que les Anglais entretenaient devant Boulogne, eussent rendu Napoléon maître du passage. Les Anglais, en arrivant à la Martinique, et n’y trouvant pas la flotte de Villeneuve, eussent tâtonné avant de commencer leurs mouvements, et perdu ainsi un temps précieux.

Une partie de ce beau projet fut exécuté. Villeneuve sortit, non pas avec soixante, mais avec trente et quelques navires. Il gagna la Martinique. Les Anglais déroutés coururent aux Antilles, dont Villeneuve venait de partir ; mais l’amiral français, au lieu de revenir par l’Écosse, se dirigea vers Cadix, afin d’y prendre la flotte espagnole, comme si trente navires ne suffisaient pas pour vaincre ou éloigner les quinze vaisseaux des Anglais !…

Ce n’est pas encore tout… Arrivé à Cadix, Villeneuve perdit beaucoup de temps à faire réparer ses navires ; pendant ce temps, les flottes ennemies regagnèrent aussi l’Europe et s’établirent en croisière devant Cadix ; enfin l’équinoxe vint rendre difficile la sortie de ce port, où Villeneuve se trouva bloqué. Ainsi avorta l’habile combinaison de l’Empereur. Comprenant que les Anglais ne s’y laisseraient plus prendre, il renonça à ses projets d’invasion dans la Grande-Bretagne, ou les remit indéfiniment, pour reporter ses regards vers le continent.

Mais avant de raconter les principaux événements de cette longue guerre et la part que j’y pris, je dois vous faire connaître un affreux malheur dont notre famille fut frappée.