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Page:Mémoires du Baron de Marbot - tome 1.djvu/307

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ÉTAT DE L’ARMÉE PRUSSIENNE.

Pour maintenir une armée composée de parties aussi hétérogènes, il fallait une discipline de fer ; aussi la plus légère faute était-elle punie par la bastonnade. De très nombreux sous-officiers, tous Prussiens, portaient constamment une canne, dont ils se servaient très souvent, et, selon l’expression admise, on comptait une canne pour sept hommes. La désertion du soldat étranger était irrémissiblement punie de mort. Vous figurez-vous l’affreuse position de ces étrangers, qui, s’étant engagés dans un moment d’ivresse, ou ayant été enlevés de force, se voyaient, loin de leur patrie et sous un ciel glacial, condamnés à être soldats prussiens, c’est-à-dire esclaves, pendant toute leur vie !… et quelle vie ! À peine nourris, couchés sur la paille, n’ayant que des habits très légers, point de capotes, même dans les hivers les plus froids, et ne touchant qu’une solde insuffisante pour leurs besoins. Aussi n’attendaient-ils pas pour mendier qu’on leur en donnât l’autorisation en les renvoyant du service, car, lorsqu’ils n’étaient pas sous les yeux de leurs chefs, ils tendaient la main, et il m’est arrivé plusieurs fois, tant à Potsdam qu’à Berlin, de voir les grenadiers à la porte même du Roi me supplier de leur faire l’aumône !…

Les officiers prussiens étaient généralement instruits et servaient fort bien ; mais la moitié d’entre eux, nés hors du royaume, étaient de pauvres gentilshommes de presque toutes les contrées de l’Europe qui, n’ayant pris du service que pour avoir de quoi vivre, manquaient de patriotisme et n’étaient nullement dévoués à la Prusse ; aussi l’abandonnèrent-ils presque tous, lorsqu’elle fut dans l’adversité. Enfin, l’avancement n’ayant lieu que par ancienneté, la très grande majorité des officiers prussiens, vieux, cassés, se trouvaient hors d’état de supporter les fatigues de la guerre. C’était une armée