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Page:Mémoires du Baron de Marbot - tome 1.djvu/31

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ORAGES RÉVOLUTIONNAIRES.

dispenser de brûler les titres de rentes féodales que nous avions encore, et de vérifier si les émigrés ses frères n’étaient pas cachés dans son château. Ma mère les reçut avec beaucoup de courage, leur remit les titres et leur fit observer que, connaissant ses frères pour des gens d’esprit, on ne devait pas supposer qu’ils eussent émigré pour revenir ensuite en France se cacher dans son château. Ils convinrent de la justesse de ce raisonnement, burent et mangèrent, brûlèrent les titres au milieu de la cour et se retirèrent sans faire aucun dégât, en criant : Vive la nation et le citoyen Marbot ! et ils chargèrent ma mère de lui écrire qu’ils l’aimaient beaucoup, et que sa famille était en sûreté au milieu d’eux.

Malgré cette assurance, ma mère, comprenant que son titre de sœur d’émigrés pourrait lui attirer les plus grands désagréments, dont ne la sauverait peut-être pas celui d’épouse d’un défenseur de la patrie, résolut de s’éloigner momentanément. Elle m’a dit depuis que ce qui la décida à prendre ce parti fut la conviction que l’orage révolutionnaire ne durerait que quelques mois : bien des gens le croyaient aussi.

Ma grand’mère avait eu sept frères, qui, tous, selon l’usage de la famille de Verdal, avaient été militaires et chevaliers de Saint-Louis. L’un d’eux, ancien chef de bataillon au régiment de Penthièvre-infanterie, avait, en prenant sa retraite, épousé la riche veuve d’un conseiller au parlement de Rennes. Ma mère résolut de se rendre auprès d’elle, et se préparait à partir comptant m’emmener avec elle, quand je fus assailli par une quantité de gros clous très douloureux. Il était impossible de faire voyager un enfant de huit ans dans cet état, et comme il se prolongeait, ma mère était dans une grande perplexité… Elle en fut tirée par une respectable dame, Mlle Mongalvi, qui lui était bien dévouée et dont la