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Page:Mémoires du Baron de Marbot - tome 1.djvu/345

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AFFAIRE DE GOLYMIN.

s’avançant seul jusqu’à dix pas d’un régiment que ses casques lui font reconnaître pour russe, tire un coup de carabine au milieu d’un escadron et revient lestement.

Pour se rendre compte du silence que les ennemis avaient gardé jusque-là, il faut savoir que le corps russe placé devant nous, se trouvant séparé du gros de son armée qu’il cherchait à rejoindre, s’était égaré dans ces vastes plaines, qu’il savait occupées par les troupes françaises se dirigeant sur Golymin. Les généraux russes, espérant passer auprès de nous à la faveur de l’obscurité, sans être reconnus, avaient défendu de parler, et en cas d’attaque de notre part, les blessés devaient tomber sans faire entendre une seule plainte !… Cet ordre, que des troupes russes seules peuvent exécuter, le fut si ponctuellement, que le colonel Albert, dans le but de prévenir le maréchal Augereau que nous étions en face de l’ennemi, ayant ordonné aux vingt-cinq chasseurs de faire un feu de peloton, pas un cri, pas un mot ne se firent entendre, et personne ne nous riposta !… Nous aperçûmes seulement, malgré l’obscurité, une centaine de cavaliers qui s’avançaient en silence pour nous couper la retraite. Nous voulûmes alors prendre le galop pour rejoindre nos colonnes ; mais plusieurs de nos chasseurs s’étant embourbés dans les marais, force nous fut d’aller moins vite, bien que nous fussions serrés de près par les cavaliers russes, qui heureusement éprouvaient dans leur marche autant de difficultés que nous. Un incendie ayant éclaté tout à coup dans une ferme voisine, et la plaine se trouvant éclairée, les cavaliers russes prirent le galop, ce qui nous força d’en faire autant. Le danger devint imminent ; parce que, étant sortis des lignes françaises par la division du général Desjardins, nous y rentrions par le front de celle du général Heudelet, qui, ne nous ayant pas vus partir,