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Page:Mémoires du Baron de Marbot - tome 1.djvu/349

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TOUR DE PAGE.

dormant, et ses cantines devant arriver sous peu, il trouverait à déjeuner en s’éveillant, tandis qu’on nous lancerait à cheval dans toutes les directions, sans s’informer si nous avions de quoi manger ; qu’en conséquence, nous pouvions, sans trop charger nos consciences, croquer ce que contenait le panier ; ainsi fut fait en un instant… Je ne sais si l’on peut excuser ce tour de page ; mais ce qu’il y a de certain, c’est que j’ai fait peu de repas aussi agréables !…

Pendant que les troupes qui venaient de se battre à Golymin faisaient cette halte, Napoléon et toute sa garde erraient dans la plaine, parce que, dès le commencement de l’action, l’Empereur, averti par la canonnade, ayant précipitamment quitté le château où il était établi à deux lieues de Golymin, espérait pouvoir se joindre à nous en se dirigeant à vol d’oiseau vers l’incendie ; mais le terrain était si détrempé, la plaine tellement coupée de marécages, et le temps si affreux, qu’il employa toute la nuit à faire ces deux lieues et n’arriva sur le champ de bataille que bien longtemps après que l’affaire était terminée.

Le jour même du combat de Golymin, le maréchal Lannes, n’ayant avec lui que vingt mille hommes, combattit à Pultusk quarante-deux mille Russes, qui se retiraient devant les autres corps français, et leur fit éprouver des pertes immenses, mais sans pouvoir les empêcher de passer, tant les forces ennemies étaient supérieures à celles que Lannes pouvait leur opposer. Pour que l’Empereur fût en état de poursuivre les Russes, il aurait fallu que la gelée raffermît le terrain, qui se trouvait au contraire tellement mou et délayé, qu’on y enfonçait à chaque pas et qu’on vit plusieurs hommes, notamment le domestique d’un officier du 7e corps, se noyer, eux et leurs chevaux, dans la boue !…