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Page:Mémoires du Baron de Marbot - tome 1.djvu/383

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FRIEDLAND.

Le but que chacune des deux armées se proposait était bien facile à comprendre : les Russes veulent traverser l’Alle pour se rendre à Kœnigsberg ; les Français veulent les en empêcher et les refouler de l’autre côté de la rivière, dont les bords sont très escarpés. Il n’y a que le pont de Friedland. Les Russes éprouvaient d’autant plus de peine à déboucher de cette ville dans la plaine de la rive gauche, que la sortie de Friedland est resserrée sur ce point par un vaste étang, ainsi que par le ruisseau dit du Moulin, qui coule dans un ravin fort encaissé. Les ennemis, pour protéger leur passage, avaient établi deux fortes batteries sur la rive droite, d’où ils dominaient la ville et une partie de la plaine entre Posthenen et Heinrichsdorf. Les projets et les positions respectives des deux armées étant ainsi connus, je vais vous expliquer succinctement les principaux événements de cette bataille décisive, qui amena la paix.

L’Empereur était encore à Eylau : les divers corps d’armée se dirigeaient sur Friedland, dont ils se trouvaient à plusieurs lieues, lorsque le maréchal Lannes, ayant marché toute la nuit, arrivait devant cette ville. Si le maréchal n’eût écouté que son impatience, il eût attaqué les ennemis sur-le-champ ; mais déjà ceux-ci avaient trente mille hommes formés dans la plaine en avant de Friedland, et leurs lignes, dont la droite était en face de Heinrichsdorf, le centre au ruisseau du Moulin et la gauche au village de Sortlack, se renforçaient sans cesse, tandis que le maréchal Lannes n’avait que dix mille hommes ; mais il les plaça fort habilement dans le village de Posthenen et dans le bois de Sortlack, d’où il menaçait le flanc gauche des Russes, pendant qu’avec deux divisions de cavalerie il tâchait d’arrêter leur marche sur Heinrichsdorf, village situé sur la route de Friedland à Kœnigsberg. Le feu s’engagea vivement,