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Page:Mémoires du Baron de Marbot - tome 1.djvu/84

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MÉMOIRES DU GÉNÉRAL DE MARBOT.

je faisais, je me mis à hurler avec les loups, et de crainte qu’on se moquât de ma timidité, je devins un vrai diable. Je ne l’étais cependant pas encore assez pour être reçu dans une sorte de confrérie qui, sous le nom de clique, avait des adeptes dans tous les escadrons du 1er de housards.

La clique se composait des plus mauvaises têtes comme des plus braves soldats du régiment. Les membres de la clique se soutenaient entre eux envers et contre tous, surtout devant l’ennemi. Ils se donnaient entre eux le nom de loustics et se reconnaissaient à une échancrure pratiquée au moyen d’un couteau dans l’étain du premier bouton de la rangée de droite de la pelisse et du dolman. Les officiers connaissaient l’existence de la clique ; mais comme ses plus grands méfaits se bornaient à marauder adroitement quelques poules et moutons, ou à faire quelques niches aux habitants, et que d’ailleurs les loustics étaient toujours les premiers au feu, les chefs fermaient les yeux sur la clique.

J’étais si étourneau, que je désirais très vivement faire partie de cette société de tapageurs ; il me semblait que cela me poserait d’une façon convenable parmi mes camarades ; mais j’avais beau fréquenter la salle d’armes, apprendre à tirer la pointe, la contre-pointe, le sabre, le pistolet et le mousqueton, donner en passant des coups de coude à tout ce qui se trouvait sur mon chemin, laisser traîner mon sabre et placer mon shako sur l’oreille, les membres de la clique, me regardant comme un enfant, refusaient de m’admettre parmi eux. Une circonstance imprévue m’y fit recevoir à l’unanimité, et voici comment.

L’armée d’Italie occupait alors la Ligurie et se trouvait étendue sur un long cordon de plus de soixante lieues de long, dont la droite était au golfe de la Spezzia,