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Page:Mémoires du Baron de Marbot - tome 1.djvu/88

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MÉMOIRES DU GÉNÉRAL DE MARBOT.

nait un commandement, il prescrivait à la gendarmerie d’arrêter et de conduire devant lui tous les militaires qu’elle surprendrait croisant le fer.

Bien que le trompette d’artillerie et moi connussions cet ordre, nous n’en avions pas moins mis dolman bas et sabre au poing ! Je tournais le dos à la ville de Savone, mon adversaire y faisait face, et nous allions commencer à nous escrimer, lorsque je vois le trompette s’élancer de côté, ramasser son dolman et se sauver en courant !… « Ah ! lâche ! m’écriai-je, tu fuis !… » Et je veux le poursuivre, lorsque deux mains de fer me saisissent par derrière au collet !… Je tourne la tête… et me trouve entre huit ou dix gendarmes !… Je compris alors pourquoi mon antagoniste s’était sauvé, ainsi que tous les assistants que je voyais s’éloigner à toutes jambes, y compris maître Pertelay, car chacun avait peur d’être arrêté et conduit devant le général.

Me voilà donc prisonnier et désarmé. Je passe mon dolman et suis d’un air fort penaud mes gardiens, auxquels je ne dis pas mon nom, et qui me conduisent à l’évêché, où logeait mon père. Celui-ci était en ce moment avec le général Suchet (depuis maréchal), qui était venu à Savone pour conférer avec lui d’affaires de service. Ils se promenaient dans une galerie qui donne sur la cour. Les gendarmes me conduisent au général Marbot sans se douter que je suis son fils. Le brigadier explique le motif de mon arrestation. Alors mon père, prenant un air des plus sévères, me fait une très vive remontrance. Cette admonestation faite, mon père dit au brigadier : « Conduisez ce housard à la citadelle. » Je me retirai donc sans mot dire, et sans que le général Suchet, qui ne me connaissait pas, se fût douté que la scène à laquelle il venait d’assister se fût passée entre le père et le fils. Ce ne fut que le lendemain que le général Suchet