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Page:Mémoires du Baron de Marbot - tome 1.djvu/89

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LA CLIQUE.

connut la parenté des personnages, et depuis il m’a souvent parlé en riant de cette scène. Arrivé à la citadelle, vieux monument génois situé auprès du port, on m’enferma dans une immense salle qui recevait le jour par une lucarne donnant sur la mer. Je me remis peu à peu de mon émotion : la réprimande que je venais de subir me paraissait méritée ; cependant j’étais moins affecté d’avoir désobéi au général que d’avoir fait de la peine à mon père. Je passai donc le reste de la journée assez tristement.

Le soir, un vieil invalide des troupes génoises m’apporta une cruche d’eau, un morceau de pain de munition et une botte de paille sur laquelle je m’étendis sans pouvoir manger. Je ne pus dormir, d’abord parce que j’étais trop ému, ensuite à cause des évolutions que faisaient autour de moi de gros rats qui s’emparèrent bientôt de mon pain. J’étais dans l’obscurité, livré à mes tristes réflexions, lorsque, vers dix heures, j’entends ouvrir les verrous de ma prison. J’aperçois Spire, l’ancien et fidèle serviteur de mon père. J’appris par lui qu’après mon envoi à la citadelle, le colonel Ménard, le capitaine Gault et tous les officiers de mon père lui ayant demandé ma grâce, le général l’avait accordée et l’avait chargé, lui Spire, de venir me chercher et de porter au gouverneur du fort l’ordre de mon élargissement. On me conduisit devant ce gouverneur, le général Buget, excellent homme qui avait perdu un bras à la guerre. Il me connaissait et aimait beaucoup mon père. Il crut donc, après m’avoir rendu mon sabre, devoir me faire une longue morale que j’écoutai assez patiemment, mais qui me fit penser que j’allais en subir une autre bien plus sévère de la part de mon père. Je ne me sentais pas le courage de la supporter et résolus de m’y soustraire si je le pouvais. Enfin, on nous conduit au delà des portes de la citadelle ;