Page:Mérimée - Théâtre de Clara Gazul, 1857.djvu/203

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avec toi. Tu m'as dit que l'amour est au-dessus de toutes les conventionsdivines et humaines. Tu me comprendras et tu m'excuseras. —Enfin, chère amie, j’aime unprêtre, et ce prêtre, c'est Fray Eugenio.
DONAMARIA : Fray Eugenio ! Grand Dieu !
DONAFRANCISCA : Lui-même. J'ai combattu quelque temps; mais maintenant, quand jeréfléchis au temps que j'ai perdu sans l'aimer, je suis tentée de pleurer ces jours sacrifiés à lavertu, ou plutôt au préjugé, O ma chère ! tu ne connais guère que l'amitié, ou peut-être quelquefièvre de tête que tu prends pour de l'amour... Mais l'amour véritable, l'amour défendu... OMariquita, je t'aime plus qu'aucune femme au monde... Je ne sais ce que je ne ferais pas pour toi.Eh bien ! si, pour sauver Fray Eugenio, il fallait... Mais quelle folie de penser à ce qui n'est paspossible. Non, mon ange, un amant ne m'empêche pas d'avoir une amie, et je serai la plusheureuse des femmes, parce que j'aurai tout à la fois le plus tendre des amants et la plus fidèle desamies.
DONAMARIA, atterrée : Fray Eugenio !... Il t'aime !
DONAFRANCISCA : Je le vois, ta philosophie est un peu ébranlée, et tes scrupules ou tespréjugés sont trop enracinés dans ton coeur, pour qu'ils puissent me trouver une excuse. Un prêtre,pour toi, n'est pas un homme. Tu pense à un sacrilège, une profanation. J'avais tes idées avantd'avoir cédé à ma passion; et maintenant que je ne vis que pour elle, je me réjouis d'avoir euquelques sacrifices à faire à mon Eugenio. Oui, je voudrais avoir été bien plus dévote que je nel'étais, pour avoir pu lui sacrifier la crainte de l'enfer, pour avoir pu renoncer pour lui à mon âme;car il y a une jouissance divine à renoncer à tout, à souffrir tout pour celui que l'on aime.
DONAMARIA : Et il t'aime ?
DONAFRANCISCA : S'il m'aime ! s'il m'aime ! C'est toi qui peux me faire cette question ! S'ilm'aime ! Il n'y a pas une goutte de sang dans son coeur qui ne soit à moi; pas un instant de sa vieoù mon image ne l'occupe... Et cependant, chère amie, je lui dis du matin au soir qu'il ne m'aimepas, et lui, de son côté... Ah ! nous nous faisons enrager à qui