Page:Mérimée - Théâtre de Clara Gazul, 1857.djvu/221

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Le Vice-Roi.

Va, va, tu n’y es pas… Allons, Balthasar… habillons-nous… (Il fait des efforts pour se lever.) Aidez-moi donc, vous autres… plus doucement… Aïe… Plus doucement, morbleu… Je ne sais ce que c’est, mais il me semble que j’ai dix mille aiguilles dans ma pantoufle.

Balthasar.

Ne vous exposez pas à l’air, monseigneur ; cela serait dangereux.

Le Vice-Roi essayant de marcher.

Oh ! vive Dieu ! quelle douleur !… Jamais je ne pourrai mettre des souliers… ma foi !… Oh ! corps du Christ !… Parbleu !… va-t’en au diable avec tes bas de soie et tes souliers… J’aimerais autant être mis à la torture. (On l’assied.) Avance ce tabouret… Ouf ! Je ne sais, mais je ne souffrais pas comme cela tout à l’heure.

Balthasar.

Que Votre Altesse songe aux recommandations du docteur Pineda… Il dit que vous devez éviter le grand air… Et puis la cérémonie sera fatigante… Il faut rester longtemps debout…

Le Vice-Roi.

Oui, c’est la fatigue que je crains… car je ne suis pas malade… Même, je suis assez bien, maintenant… et je pourrais sortir si je voulais… Mais je ne veux pas me rendre malade pour le sot plaisir de tenir un cacique indien sur les fonts de baptême… Baste ! Martinez, écris à l’Auditeur don Pedro de Hinoyosa qu’il tienne l’enfant… c’est-à-dire le cacique, à ma place… Voici les douze noms qu’il doit porter… Je lui souhaite bien du plaisir… Balthasar, ôte-moi ces habits de devant les yeux… je ne veux pas avoir de regrets… Sotte chose que la gloire de montrer des galons, des rubans et des broderies !… Qu’on m’envoie aussi Pineda, s’il n’est pas à ce baptême du diable… Donne-moi un cigare et du maté2. Allons, puisque je suis obligé de garder la chambre et que je n’ai rien à faire, je vais m’occuper des affaires de ce gouvernement… Balthasar, je n’y suis pour personne, personne absolument. (À Martinez) As-tu fini, voyons ? (Il lit la lettre que Martinez vient d’écrire.) Bon… vive Dieu ! tu oublies de mettre avec mes titres… chevalier de Saint-Jacques. Parbleu ! je le suis depuis six mois en Espagne, et depuis trois jours au Pérou.

Martinez.

Je demande pardon de ma négligence à Votre Altesse.

(Il ajoute ce titre à la lettre.)