Page:Mérimée - Théâtre de Clara Gazul, 1857.djvu/224

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Martinez.

Votre Altesse sait avec quelle perfection cette inimitable actrice saisit et rend tous les ridicules.

Le Vice-Roi.

Oui, mais elle passe les bornes et ne respecte rien. Je la tancerai vertement. Vive Dieu ! je me suis intéressé toute ma vie à l’art dramatique, mais je n’entends pas qu’on se permette des personnalités injurieuses pour des femmes dont les familles pourraient me faire le plus grand tort à Madrid.

Martinez.

Voici la pétition d’un capitaine invalide…

Le Vice-Roi.

C’en est assez. Je commence à me fatiguer. Nous lirons le reste une autre fois ; mais pendant que nous en sommes sur le sujet de la Perichole, je veux, mon cher Martinez, que tu me parles d’elle à cœur ouvert.

Martinez.

Moi, monseigneur ? Eh ! que pourrais-je dire à Votre Altesse ?

Le Vice-Roi.

Oui, je veux que tu me dises franchement ce qu’on en dit dans la ville, dans les sociétés que tu fréquentes.

Martinez.

On en parle partout comme d’un talent du premier ordre.

Le Vice-Roi.

Bon ! ce n’est pas cela que je te demande. Je veux savoir ce que l’on dit de ma liaison avec cette fille, car, au point où nous en sommes, le mystère serait inutile. Bien que tu sois depuis peu à mon service, tu as sans doute deviné… Que diable ! on est homme ; — et pour être un vice-roi, on n’est pas obligé de vivre comme un saint.

Martinez.

Monseigneur, Votre Altesse fait beaucoup d’envieux ; et s’il faut tout dire, elle fait aussi des envieuses.

Le Vice-Roi.

Flatteur ! mais il y a du vrai dans ce que tu dis… peut-être plus que tu ne le crois.

Martinez.

Ah ! monseigneur, je ne dis que la vérité.

Le Vice-Roi.

Comme je sais que tu m’es entièrement dévoué, je veux bien te faire une confidence ; mais c’est à condition que tu paieras ma franchise par une franchise semblable. Tu sais que je ne suis pas de ceux à qui on fait voir des étoiles en plein midi… Ainsi, fais bien attention à ce que tu vas dire.

Martinez.

Monseigneur, je parlerai à Votre Altesse comme si j’étais devant mon confesseur.