Page:Mérimée - Théâtre de Clara Gazul, 1857.djvu/235

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pée comme tant d’autres. C’est le plus brave toréador du Pérou, et peut-être le plus beau et le plus robuste.

Le Vice-Roi.

Parbleu ! il est clair que vous n’êtes pas femme à quitter un vice-roi pour le premier venu. D’ailleurs, en personne habile, vous quittez un amant pour en prendre deux. Vous donnez un ducat, mais vous en prenez la monnaie.

La Perichole.

Si bien qu’à votre compte un capitaine et un matador seraient la monnaie d’un vice-roi ? Votre Altesse se trompe dans son calcul. Il faudrait, suivant moi, trois vice-rois pour faire la monnaie d’un capitaine, et six vice-rois au moins pour la monnaie d’un matador.

Le Vice-Roi.

Vous êtes une impudente…

La Perichole.

Courage !

Le Vice-Roi.

Une effrontée, qui ne prend pas même le soin de cacher ses débordements par un peu de respect humain.

La Perichole.

Ferme ! (Déclamant.) « Cruelle imagination ! pourquoi, par tes doux prestiges, affliges-tu mon cœur4 ? »

Le Vice-Roi.

Prendre un matador et un cholo pour amants !… Vous êtes une Messaline !

La Perichole.

Qu’est-ce que cela veut dire ?

Le Vice-Roi.

Vous êtes…

La Perichole.

Que Votre Altesse ne se contraigne point. J’imagine qu’elle se livre à ces accès de fureur par ordonnance du médecin. En effet, vous vous échauffez, et cela doit être bon pour la goutte.

Le Vice-Roi.

Taisez-vous, infâme ! Prendre un cholo pour amant ! Vive Dieu ! — Je vous ai comblée de mes faveurs… Pour vous, je me suis presque compromis aux yeux du public… car il est scandaleux que le représentant du roi d’Espagne aille chercher sa maîtresse sur les planches d’un théâtre !… Je ne sais qui me retient… Mais, si je n’étais mille fois trop bon, je vous ferais fourrer dans une maison de correction.

La Perichole.

Vous n’oseriez pas !

Le Vice-Roi.

Je n’oserais pas !… Vite une plume et de l’encre, et je signe l’ordre.

La Perichole.

Il y aurait une révolte à Lima si la Perichole était en prison.