Page:Mérimée - Théâtre de Clara Gazul, 1857.djvu/84

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ANTONIO - Il nous reste encore du temps avant la séance, et, pour nous préparer à la tâche que nous devons remplir, un aveu sincère de nos fautes nous est utile. — Écoutez-moi donc, mes pères. — J’avais toujours pensé que la femme est l’instrument de damnation le plus sûr dont le malin se puisse servir. Vous partagez mon opinion, mes pères ? La rencontre d’une femme est plus dangereuse que celle d’un aspic…

DOMINGO, avec une surprise affectée. — Comment ! une femme serait-elle ?…

ANTONIO - Dès ma plus tendre enfance je fus élevé dans un couvent, jamais je n’en étais sorti ; je ne connaissais, il y a six mois, d’autre femme que ma mère, et plût au ciel que je n’en eusse jamais vu d’autres !

RAFAEL, de même. — Sainte Vierge ! vous me faites frémir !

ANTONIO - Satan me frappa d’une maladie aiguë, qui mit mes jours en danger… Je demandais à Dieu de mourir dans l’innocence… mais il ne daigna pas exaucer ma prière. — Je revins à la vie. — Les médecins, pour achever mon rétablissement, m’ordonnèrent d’aller respirer un air plus pur dans une petite maison de campagne appartenant à notre couvent. Enhardi par la solitude du lieu, j’osai sortir des murs, et sortir seul… J’avais essayé mes forces dans la campagne, et je rentrais dans notre maison, quand tout à coup… mes yeux rencontrent devant notre porte un être, qu’à ses vêtements, je crois être une femme. Son apparition subite me jeta dans un trouble tel que je n’eus pas même la présence d’esprit de fermer les yeux ; égaré, hors de moi, je restais devant elle, et son image s’enfonçait toujours plus profondément dans mon cœur. En vain je voulus fuir, mes pieds se fixaient à la terre. Semblable à un homme tourmenté du cauchemar, je voyais le danger, mais j’étais sans force, sans voix : j’étais comme le colibri fasciné par l’alligator. Mon sang bouillonnait… j’étais effrayé… je tremblais… et pourtant, si une telle comparaison n’est pas un sacrilège,… j’éprouvais cette espèce d’extase délicieuse que j’ai sentie quelquefois en priant devant notre sainte Madone. Encore quelques moments, et je serais mort à cette place… Mon âme… je la sentais près de