Page:Mérimée - Théâtre de Clara Gazul, 1857.djvu/85

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m’abandonner… je serais mort… et mort dans le péché, si cette créature n’eût fait un pas vers moi. Ce mouvement subit rompit le charme en redoublant ma frayeur… Je pus m’écrier : Jésus ! Ce saint nom me délia : je courus de toutes mes forces sans regarder derrière moi, jusqu’à ce que, me jetant dans les bras de mon confesseur, je soulageai mon âme oppressée.

RAFAEL - avec un grand soupir. — Je m’attendais à pis.

ANTONIO - Satan n’abandonna pas sa victime. J’avais fui, mais j’avais emporté le dard empoisonné. Hélas !… il faut l’avouer… il est encore dans mon sein. Jeûnes, prières, mortifications, rien n’a pu encore arracher de ma pensée l’image de cette femme. Elle me poursuit dans mes rêves ; je la vois partout… ses grands yeux noirs… qui ressemblent aux yeux d’un jeune chat… doux et méchants à la fois… je les vois… toujours… encore maintenant je les vois. (Il cache sa tête dans ses mains). Le dirai-je ? souvent, au milieu de mes lectures pieuses, mon esprit n’est plus aux paroles sublimes de l’Évangile ; mes yeux, ma bouche, ne lisent plus que des mots vides de sens ; — mon âme est tout entière à cette femme. — Sûrement Satan prit cette figure pour tenter mon bienheureux patron. Grand saint Antoine, donnez-moi votre courage !

RAFAEL et DOMINGO - Le Seigneur vous soit en aide !

ANTONIO - Amen ! — Pourquoi faut-il qu’un malheureux pécheur soit condamné à juger les autres, quand il ne sait pas lui-même si le jugement dernier ne l’enverra pas dans les flammes des prévaricateurs ? (Longue pause). Remplissons cependant notre tâche, quelque pénible qu’elle soit, et souvenons-nous que c’est le sort de l’homme de passer sa vie dans les tribulations. (Il monte sur l’estrade et se place entre Rafael et Domingo). Greffier, appelez la cause, et faites paraître l’accusée.

RAFAEL - Quoi ! vous fermez les yeux ?

ANTONIO - Plût au ciel que je fusse aveugle ! une femme va paraître devant nous.

LE GREFFIER - Maria Valdez, accusée, paraissez devant le tribunal du Saint-Office.


(Entre Mariquita voilée, entre deux familiers du Saint-Office).