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le charme de l’histoire

plus souvent que ne le croient les sceptiques et les libertins, il ne demeure pas en cet état de paroxysme où l’être tout entier s’incarne dans un sentiment unique qui le soulève au-dessus de la terre ; mais c’est encore lui qui nous fait vivre et nous rend heureux : « L’amour fait vivre dans l’avenir quand on est jeune, dans le passé quand on est vieux, et dans le ciel pendant un jour » (177). Tandis que La Rochefoucauld peint avec une ironie railleuse un passe-temps dont il avoue lui-même qu’on est honteux quand on a cessé de s’en amuser (71), la Comtesse Diane décrit une passion dont les traces restent douces et profondes parce qu’elle n’est ni une fantaisie passagère des sens, ni un jeu de l’amour-propre, et que le cœur tout entier s’est donné. Voilà pourquoi les Maximes de la Vie, quand elles nous parlent de l’amour, même pour nous rappeler sa fragilité, élèvent l’âme et la consolent, au lieu de l’attrister comme le livre sceptique de La Rochefoucauld.

Nous pourrions étendre à d’autres sujets l’étude que nous venons d’esquisser, et toujours nous retrouverions dans chacun de nos deux moralistes, à côté de l’empreinte de son caractère personnel, la marque de son siècle, presque l’histoire de son temps.

Ainsi la Comtesse Diane ne paraît nullement occupée de ce que La Rochefoucauld appelait les