Page:Marcellin, Jornandès, Frontin, Végèce, Modestus - Traductions de Nisard, 1860.djvu/349

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vit en songe sa femme, qu’il avait laissée en arrière, assise, les cheveux en désordre, et en habit de deuil ; ce qu’on interpréta comme l’annonce que sa fortune allait le quitter.

(19) Le lendemain matin, on le vit sortir le front plus chagrin que de coutume ; et comme le cheval qu’il allait monter fit mine de se défendre, et se cabra malgré l’écuyer de service, le prince donna l’ordre brutal de couper à cet homme la main droite, dont il lui avait imprimé, comme il montait, une trop forte secousse ; et le malheureux n’aurait pas échappé à cette mutilation si Céréalis, tribun de l’écurie, n’eût, à ses risques et périls, pris sur lui d’en différer l’exécution.

Chapitre VI

(1) Une députation des Quades vint implorer humblement la paix et l’oubli du passé. Elle offrait, pour écarter tout obstacle, l’engagement de fournir des recrues, et d’autres conditions avantageuses à l’empire.

(2) La raison conseillait d’accueillir les députés, et de leur accorder la trêve qu’ils demandaient ; car la température non plus que l’état des approvisionnements ne permettaient la continuation des hostilités. Ils furent donc, à la présentation d’Équitius, introduits devant le conseil, où ils restèrent quelque temps muets, et dans une attitude morne et intimidée. Invités à s’expliquer, ils débutèrent par la protestation banale, affirmée par serment, que c’était à l’insu des chefs de la nation que la paix avait été enfreinte, et que les excès commis sur notre territoire n’étaient que l’œuvre de gens sans aveu, riverains du fleuve ; ajoutant (ce qu’ils regardaient comme une apologie suffisante) que c’était la prétention injustifiable d’élever un fort sur leur territoire qui avait exaspéré ces féroces esprits.

(3) L’empereur, outré de colère, commençait une sortie véhémente et pleine de violents reproches sur l’ingratitude dont leur nation avait payé les bienfaits des Romains ; mais tout à coup l’emportement parut se calmer, et, comme par un coup du ciel, il demeura sans pouls, sans voix, suffoqué, et le visage en feu. Bientôt le sang se fit passage, une sueur froide inonda ses membres. Ses serviteurs intimes s’empressèrent. en l’emportant, d’ôter ce spectacle à de pareils yeux.

(4) On le mit au lit, respirant à peine, mais sans qu’il eût perdu connaissance ; car il désignait individuellement plusieurs personnes qui l’entouraient, et dont ses chambellans, afin d’écarter tout soupçon d’attentat, avaient eu soin de requérir l’assistance. Une congestion était imminente, et exigeait une saignée ; mais on ne put d’abord trouver un médecin. Ils étaient tous occupés à combattre une maladie pestilentielle qui régnait parmi les troupes.

(5) Enfin il en vint un qui ouvrit la veine à plusieurs reprises, sans pouvoir tirer une goutte de sang ; l’inflammation interne l’avait tari, ou, suivant une autre opinion, le froid avait crispé et obstrué chez le prince certains vaisseaux qu’on appelle hémorrhoïdaires. Valentinien, à ces symptômes, comprit que l’heure des dernières volontés était arrivée. Il sembla faire effort pour parler et donner des ordres, à en juger du moins par le soulèvement convulsif de sa poitrine, par le grincement de ses dents, et par le mouvement de ses bras, qu’il agitait comme lorsqu’on se bat au