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DE LA REINE DE NAVARRE.

grand, je l’advoue ; mais rien n’est si espouvantable dans les choses humaines, qui puisse abattre un courage vrayment appuyé sur ce roc inébranlable, JésusChrist. Si

vous demandez d’où je vous connois, qui ne vous ay jamais veue, beaucoup congnoissent vostre altesse par ses portraits, sans avoir jamais eu le bonheur de la voir en réalité. Et moi, des gens de bien et de science m’ont dépeint vostre esprit en leurs lettres beaucoup plus fidèlement que nul peintre ne feroit vostre personne avec l’illusion de ses couleurs. Vous ne devez point soupçonner ma bonne foy : de mesme que je vous loue parceque je vous congnois, aussy ne flatté je pas vostre puissance, car je n’ambitionne rien de vous qu’une affection réciproque. Dès long tems j’aimois le Roy très chrestien, ou, pour parler plus vray, je luy rendois son amitié, laquelle la première a provoqué la mienne en tant de façons. Une femme, une héroïne telle que vous estes, je ne saurois m’empescher de l’aimer en Nostre Seigneur. Je doy à l’Empereur non seulement de la faveur, mais encore de la piété, et cela, à plus d’un titre. Premièrement je suis né son subject ; ensuite voilà desjà quelques années que je suis son conseiller et luy ay presté serment. Pleust à Dieu qu’il eust remporté ceste victoire plus tost sur les Turcs ! C’estoit l’objet de nos vœux les plus ardens. Mais les péchés des hommes, sans doute, ont empesché que Dieu nous estimast dignes de ceste grace. Si magnifique que soit la victoire de l’Empereur, je n’ai pu encore l’en féliciter du fond de l’ame.