Page:Marivaux - Œuvres complètes, édition Duviquet, 1825, tome 7.djvu/431

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coûte par repas, j’irai loin ; car j’étais sobre, et je l’étais sans peine. Quand je trouvais bonne chère, elle me faisait plaisir ; je ne la regrettais pas quand je l’avais mauvaise, tout m’accommodait.

Et ce sont là d’assez bonnes qualités dans un garçon qui cherche fortune avec cette humeur-là. Ordinairement il ne la cherche pas en vain ; le hasard est volontiers pour lui, ses soins lui réussissent ; et j’ai remarqué que les gourmands perdent la moitié de leur temps à être en peine de ce qu’ils mangeront ; ils ont là-dessus un souci machinal qui dissipe une grande partie de leur attention pour le reste.

Voilà donc mon parti pris de séjourner à Paris plus que je n’avais résolu d’abord.

Le lendemain de ma résolution, je commençai par aller m’informer de ce qu’était devenue la dame de chez laquelle j’étais sorti, parce qu’elle aurait pu me recommander à quelqu’un. Mais j’appris qu’elle s’était retirée dans un couvent avec la généreuse femme de chambre dont j’ai parlé ; que ses affaires tournaient mal, et qu’à peine aurait-elle de quoi passer dans l’obscurité le reste de ses jours.

Cette nouvelle me fit encore jeter quelques soupirs, car sa mémoire m’était chère ; mais il n’y avait point de remède à cela ; et tout ce que je pus imaginer de mieux pour me fourrer quelque part, ce fut d’aller chez un nommé maître Jacques, qui était de mon pays, et à qui mon père, quand je partis du village, m’avait dit de faire ses compliments. J’en avais l’adresse, mais jusque-là je n’y avais pas songé.