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TROISIÈME PARTIE


Oui, madame, vous avez raison, il y a longtemps que vous attendez la suite de mon histoire ; je vous en demande pardon ; je ne m’excuserai point, j’ai tort, et je commence.

Je vous ai dit qu’on frappa à la porte pendant que madame Dutour me prêchait une économie dont elle approuvait pourtant que je me dispensasse à son profit, c’est-à-dire à sa fête, à celle de Toinon, à la mienne, et à de certains jours de réjouissance où ce serait fort bien fait de dépenser mon argent pour la régaler elle et sa maison.

C’était donc là à peu près ce qu’elle me disait, quand le bruit qu’on fit à la porte l’interrompit. Qui est là ? cria-t-elle tout de suite et sans se lever ; qui est-ce qui frappe ? Je venais d’entendre arrêter un carrosse ; et, comme on répondit au qui est là de madame Dutour, il me sembla reconnaître la voix de la personne qui répondait. Je pense que c’est M. de Climal, lui dis-je. Croyez-vous ? me dit-elle en courant vite. Et je ne me trompais point, c’était lui-même.

Eh ! mon Dieu, monsieur, je vous fais bien excuse ; vraiment je me serais bien plus pressée, si j’avais cru que c’était vous, lui dit-elle. Tenez, Marianne et moi nous étions encore à table ; il n’y a que nous deux ici. Jeannot (c’était son fils) est avec sa tante, qui doit le mener tantôt à la foire ; car il faut toujours que cet enfant soit fourré chez elle, surtout les fêtes. Madelon (c’était sa servante) est à la noce d’un cousin qu’elle a, et je lui ai dit : Va-t’en, cela n’arrive pas tous les jours, et en voilà pour longtemps. D’un autre côté, Toinon est allée voir sa mère, qui ne la voit pas souvent, la pauvre femme ; elle demeure si loin ! c’est au faubourg Saint-Marceau ; imaginez-vous s’il y a à trotter ; et