Page:Marivaux - La Vie de Marianne.pdf/134

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tant mieux, j’en suis bien aise, moi ; cela fait que la fille ne sort guère : de sorte que je suis restée seule en attendant Marianne, qui, par-dessus le marché, s’est avisée de tomber en venant de l’église, et qui s’est fait mal à un pied ; ce qui est cause qu’elle n’a pu marcher, et qu’il a fallu la porter près de là dans une maison pour accommoder son pied, pour avoir un chirurgien qui ne se trouve pas là à point nommé ; il faut qu’il vienne, qu’il voie ce que c’est, qu’on déchausse une fille, qu’on la rechausse, qu’elle se repose ; ensuite un fiacre dont elle a eu besoin, et qui me l’a ramenée ici tout éclopée, pour ma peine de l’avoir attendue jusqu’à une heure et demie. Et puis, est-ce là tout ? Vous croyez qu’on va dîner, n’est-ce pas ? Bon n’y avait-il pas ce maudit fiacre que j’ai voulu payer moi-même pour épargner l’argent de Marianne, qui ne se connaît pas à cela, et qui, malgré moi, a été lui donner plus qu’il ne fallait ; j’étais dans une colère ! Aussi je l’aurais battu, si j’avais été assez forte.

Il y a eu donc bien du bruit ? dit M. de Climal. Oh ! du bruit, si vous voulez, reprit-elle ; je me suis un peu emportée contre lui ; mais, au surplus, il n’y a eu que quelques voisins qui se sont assemblés à notre porte, quelques passants par-ci par-là.

Tant pis, lui dit-il assez froidement ; ce sont là de ces scènes qu’il faut éviter le plus qu’on peut, et Marianne, qui l’a payé, a pris le bon parti. Comment va votre pied ? ajouta-t-il en s’adressant à moi. Assez bien, lui dis-je ; je n’y sens presque plus que de la faiblesse, et j’espère que demain il n’y aura rien.

Avez-vous achevé de dîner ? nous dit-il. Oh ! sans doute, reprit madame Dutour ; nous causions de choses et d’autres. Ne vous asseyez-vous pas, monsieur ? avez-vous quelque chose à dire à Marianne ? Oui, dit-il, j’ai à lui parler.

Eh ! reprit-elle, ayez donc la bonté de passer dans la salle, vous ne seriez pas bien ici ; c’est notre taudis. Venez, Marianne, appuyez-vous sur moi, je vous mènerai jusque-là ; attendez, je m’en vais chercher mon aune, avec quoi vous vous soutiendrez. Non, non, dit M. de Climal, je l’aiderai ;