Page:Marivaux - La Vie de Marianne.pdf/135

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prenez mon bras, mademoiselle. Et là-dessus je me lève. Nous rentrâmes dans la boutique pour passer dans cette petite salle, où je crois que j’aurais fort bien été toute seule, en me soutenant d’une canne.

Ah çà ! dit madame Dutour pendant que je m’asseyais dans un fauteuil, puisque vous avez à entretenir Marianne, moi je vais prendre ma coiffe, et sortir pour aller entendre un petit bout de vêpres ; elles seront bien avancées : mais je ne perdrai pas tout, et j’en aurai toujours peu ou prou. Adieu, monsieur ; excusez si je m’en vais, je vous laisse le gardien de la maison. Marianne, si quelqu’un vient me demander, dites que je ne serai pas longtemps ; entendez-vous, ma fille ? Monsieur, je suis votre servante.

Elle nous quitta alors, sortit un moment après, et ne fit que tirer la porte de la rue sans la fermer, parce qu’il ne pouvait entrer qui que ce soit dans la boutique sans que nous le vissions de la salle.

Jusque-là M. de Climal avait eu l’air sombre et rêveur, ne m’avait pas dit quatre paroles, et semblait attendre qu’elle fût partie pour entamer la conversation ; de mon côté, à l’air intrigué que je lui voyais, je me doutais de ce qu’il allait me dire, et j’en étais dégoûtée d’avance. Apparemment qu’il va être question de son amour, pensais-je en moi-même. Car, avant mon aventure avec Valville, vous vous ressouvenez bien que j’avais déjà conclu que M. de Climal m’aimait, et j’en étais encore plus sûre depuis ce qui s’était passé chez son neveu : un bigot qui avait rougi de m’y rencontrer, qui avait feint de ne m’y pas connaître, ne pouvait y avoir été si confus et si dissimulé, que parce que le fond de sa conscience sur mon chapitre ne lui faisait pas honneur : on appelle cela rougir devant son péché, et vous ne sauriez croire combien alors ce vieux pécheur me paraissait laid, combien sa présence m’était à charge.

Trois jours auparavant, en découvrant qu’il m’aimait, je m’étais contentée de penser que c’était un hypocrite, que je n’avais qu’à laisser être ce qu’il voudrait, et qu’il n’y gagnerait rien ; mais à présent je n’en restais pas là ; je ne