Page:Marivaux - La Vie de Marianne.pdf/164

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bien aussi ; et je fondis en larmes en finissant ce discours.

M. de Climal, tout intrépide tartufe qu’il était, ne put le soutenir. Je vis l’embarras se peindre sur son visage, il ne put pas même le dissimuler ; et, dans la crainte que le religieux ne le remarquât, et n’en conçût quelque soupçon contre lui, il prit son parti en habile homme ; ce fut de paraître naïvement embarrassé, et d’avouer qu’il l’était.

Ceci me déconcerte, dit-il avec un air de confusion pudique, je ne sais que répondre ; quelle avanie ! Ah ! mon père, aidez-moi à supporter cette épreuve ; cela va se répandre, cette pauvre enfant le dira partout ; elle ne m’épargnera pas. Hélas ! ma fille, vous serez pourtant bien injuste ; mais Dieu le veut. Adieu, mon père : parlez-lui, tâchez de lui ôter cette idée-là, s’il est possible ; il est vrai que je lui ai marqué de la tendresse, elle ne l’a pas comprise ; c’était son âme que j’aimais, que j’aime encore, et qui mérite d’être aimée : oui, mon père, mademoiselle a de la vertu, je lui ai découvert mille qualités, et je vous la recommande, puisqu’il n’y a pas moyen de me mêler de ce qui la regarde.

Après ces mots, il se retira, et ne salua cette fois-ci que le religieux, qui, en lui rendant son salut, avait l’air incertain de ce qu’il devait faire, qui le conduisit jusqu’à la sortie de la salle, et qui, se retournant ensuite de mon côté, me dit, presque la larme à l’œil : Ma fille, vous me fâchez, je ne suis point content de vous ; vous n’avez ni docilité ni reconnaissance ; vous n’en croyez que votre petite tête, et voilà ce qui en arrive. Ah ! l’honnête homme ! quelle perte vous faites ! Que me demandez-vous à présent ? Il est inutile de vous adresser à moi davantage, très inutile : quel service voulez-vous que je vous rende ? J’ai fait ce que j’ai pu ; si vous n’en avez pas profité, ce n’est pas ma faute, ni celle de cet homme de bien que je vous ai trouvé, et qui vous a traitée comme si vous aviez été sa propre fille ; car il m’a tout dit : habits, linge, argent, il vous a fourni de tout, vous payait une pension, allait vous la payer encore,