Page:Marivaux - La Vie de Marianne.pdf/165

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et avait même dessein de vous établir, à ce qu’il m’a assuré : et parce qu’il n’approuve pas que vous voyiez son neveu qui est un jeune homme étourdi, débauché, parce qu’il veut vous mettre à l’abri d’une connaissance qui vous est très dangereuse, et que vous avez envie d’entretenir, vous vous imaginez par dépit qu’un homme si pieux et si vertueux vous aime, et qu’il est jaloux ; cela n’est-il pas bien étrange, bien épouvantable ? Lui jaloux, lui vous aimer ! Dieu vous punira de cette pensée-là, ma fille ; vous ne l’avez prise que dans la malice de votre cœur, et Dieu vous en punira, vous dis-je.

Je pleurais pendant qu’il parlait : Écoutez-moi, mon père, lui répondis-je en sanglotant ; de grâce, écoutez-moi.

Eh bien ! que me direz-vous ? répondit-il ; qu’aviez-vous affaire de ce jeune homme ? pourquoi vous obstiner à le voir ? quelle conduite ! Passe encore pour cette folie-là, pourtant ; mais porter la mauvaise humeur et la rancune jusqu’à être ingrate et méchante envers un homme si respectable, et à qui vous devez tant, que deviendrez-vous avec de pareils défauts ? quel malheur qu’un esprit comme le vôtre ! oh ! en vérité, votre procédé me scandalise. Voyez, vous voilà d’une propreté admirable ; qui est-ce qui dirait que vous n’avez point de parents ? et quand vous en auriez, et qu’ils seraient riches, seriez-vous mieux accommodée que vous l’êtes ? peut-être pas si bien, et tout cela vient de lui apparemment. Seigneur, que je vous plains ! il ne vous a rien épargné… Eh ! mon père, vous avez raison, m’écriai-je encore une fois ; mais ne me condamnez pas sans m’entendre : je ne connais point son neveu, je ne l’ai vu qu’une fois par hasard et ne me soucie point de le revoir ; je n’y songe pas ; quelle liaison aurais-je avec lui ? Je ne suis point folle, et M. de Climal vous abuse ; ce n’est point à cause de cela que je romps avec lui, ne vous prévenez point. Vous parlez de mes hardes, elles ne sont, que trop belles ; j’en ai été étonnée, et elles vous surprennent vous-même : tenez, mon père, approchez, considérez la finesse de ce linge ; je ne le voulais pas si fin au moins ; j’avais de la peine à le prendre,