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Hélas ! ma chère demoiselle, qu’avez-vous donc ? mon bon Dieu ! quelle pitié ! auriez-vous du chagrin ? c’est bien dommage : peut-être venez-vous parler à quelqu’une de nos dames ? à laquelle est-ce, mademoiselle ?

Je ne repartis rien à ce discours, mais mes yeux recommencèrent à se mouiller. Nous autres filles, ou nous autres femmes, nous pleurons volontiers dès qu’on nous dit : vous venez de pleurer ; c’est une enfance, et comme une mignardise que nous avons, et dont nous ne pouvons pas nous défendre.

Eh ! mais, mademoiselle, dites-moi ce que c’est ; dites, ajouta la tourière en insistant, irai-je avertir quelqu’une nos religieuses ? Or, je réfléchissais à ce qu’elle me répétait là-dessus : c’est peut-être Dieu qui permet qu’elle me fasse songer à cela, me dis-je, tout attendrie, de la douceur avec laquelle elle me pressait ; et tout de suite : Oui, madame, lui répondis-je, je souhaiterais bien parler à madame la prieure, si elle en a le temps.

Eh bien ! ma belle demoiselle, venez, reprit-elle, suivez-moi ; je vais vous mener à son parloir, et elle s’y rendra un moment après. Allons.

Je la suivis donc ; nous montâmes un petit escalier, elle ouvrit une porte, et le premier objet qui me frappa, c’est cette dame dont je vous ai parlé, que je n’avais vue que lorsqu’elle sortit de l’église, et qui, en sortant, m’avait regardée d’une manière si obligeante.

Elle me parut encore charmée de me revoir, et se leva d’un air caressant pour me faire place.

Elle était avec la prieure du couvent, et je vous ai instruite de ce qui était cause de sa visite.

Madame, dit la tourière à la religieuse, j’allais vous avertir ; c’est mademoiselle qui vous demande.

Cette prieure était une petite personne courte, ronde et blanche, à double menton, et qui avait le teint frais et reposé. Il n’y a point de ces mines-là dans le monde ; c’est un embonpoint tout différent de celui des autres, un embonpoint qui s’est formé plus à l’aise et plus méthodiquement ;