Page:Marivaux - La Vie de Marianne.pdf/176

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et timide ; et puis je me tus. Je ne savais comment entrer en matière : l’accueil de la prieure, tout avenant qu’il était, m’avait découragée ; je n’espérais plus rien d’elle, sans que je pusse dire pourquoi : c’était ainsi que son abord m’avait frappée, et cela revient à ces superficies dont je parlais, et que je ne démêlais pas alors. Elle va me plaindre, et ne me secourra point, me disais-je ; il n’y a rien à faire.

Cependant ces dames, qui s’étaient levées, restaient debout, et j’en rougissais, parce que mon habit les trompait, et que j’étais bien au dessous de tant de façons. Souhaitez-vous que nous soyons seules ? me dit la prieure.

Comme il vous plaira, madame, répondis-je ; mais je serais fâchée d’être cause que madame s’en allât, et de vous déranger ; si vous voulez, je reviendrai.

Ce que je disais dans l’intention d’échapper à l’embarras où je m’étais mise, et de ne plus revenir.

Non, mademoiselle, non, me dit la dame, en me prenant par la main pour me faire avancer : vous resterez, s’il vous plaît ; ma visite est finie, et je partais ; ainsi je vais vous laisser libre : vous avez du chagrin, je m’en suis aperçue ; vous méritez qu’on s’y intéresse ; et si vous vous en retourniez, je ne me le pardonnerais pas.

Oui, madame, lui dis-je, pénétrée de ce discours, et tout en pleurs, il est vrai que j’ai du chagrin ; j’en ai beaucoup, il n’y a personne qui ait autant sujet d’en avoir que moi ; personne de si à plaindre, ni de si digne de compassion que je le suis ; et vous me témoignez un cœur si généreux, que je ne ferai point difficulté de parler devant vous, madame : il ne faut pas vous retirer, vous ne me gênerez point ; au contraire, c’est un bonheur pour moi que vous soyez ici : vous m’aiderez à obtenir de madame la grâce que je viens lui demander à genoux (je m’y jetai en effet), et qui est de vouloir bien me recevoir chez elle.

Eh ! ma belle enfant, que vous me touchez ! me répondit la prieure en me tendant les bras de l’endroit où elle était, pendant que la dame me relevait affectueusement ; que je me félicite du choix que vous avez fait de ma maison ! En