Page:Marivaux - La Vie de Marianne.pdf/198

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Oh ! pour le coup, me voici comme dans mon cadre. À l’article du pied, figurez-vous la pauvre petite orpheline anéantie ; je ne sais pas comment je pus respirer avec l’effroyable battement de cœur qui me prit.

Ah ! c’est donc moi, me dis-je : il me sembla que je sortais de l’église, que je me voyais encore dans cette rue où je tombai avec ces maudits habits que M. de Glimal m’avait donnés, avec toutes ces parures qui me valaient le titre de grisette en ses beaux atours des jours de fête.

Quelle situation pour moi, madame ! et ce que j’y sentais de plus humiliant et de plus fâcheux, c’est que cet air si noble et si distingué, que madame Dorsin en entrant avait dit que j’avais, et que madame de Miran me trouvait aussi, ne tenait à rien dès qu’on me connaîtrait : m’appartenait-il de venir rompre un mariage tel que celui dont il était question ?

Oui, Marianne avait l’air d’une fille de condition, pourvu qu’elle n’eût point d’autre tort que d’être infortunée, et que ses grâces n’eussent causé aucun désordre ; mais Marianne aimé de Valville, Marianne coupable du chagrin qu’il donnait à sa mère, pouvait fort bien redevenir grisette, aventurière et petite fille, dont on ne se soucierait plus, qui indignerait, et qui était bien hardie d’oser toucher le cœur d’un honnête homme.

Mais, achevons d’écouter madame de Miran, qui continue, à qui, dans la suite de son discours, il échappera quelques traits qui me ranimeront, et qui en est au chirurgien à qui elle alla parler.

Et qui m’a dit de bonne foi, continua-t-elle, que la jeune enfant était fort aimable, qu’elle avait l’air d’une fille de très bonne famille, et que mon fils, dans toutes ses façons, avait marqué un vrai respect pour elle ; et c’est ce respect qui m’inquiète : j’ai peine, quoi que vous disiez, à la concilier avec l’idée que j’ai d’une grisette. S’il l’aime, et qu’il la respecte, il l’aime donc beaucoup ; il l’aime donc d’une manière qui sera dangereuse, et peut le mener très loin. Vous concevez bien d’ailleurs que tout cela n’annonce pas une fille sans éducation et sans mérite ; et si mon fils a de certains senti-