Page:Marivaux - La Vie de Marianne.pdf/199

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ments pour elle, je le connais, je n’en espère plus rien ; ce sera justement parce qu’il a des mœurs, de la raison et le caractère d’un honnête homme, qu’il n’y aura presque point de remède à ce misérable penchant qui l’aura surpris pour elle, s’il la croit digne de sa tendresse et de son estime.

Or, mettez-vous à la place de l’orpheline, et voyez, je vous prie, que de tristes considérations à la fois ! Doucement pourtant ; il s’y en joignait une qui était bien agréable.

Avez-vous pris garde à cette mélancolie où, disait-on, Valville était tombé depuis le jour de notre connaissance ? Avez-vous remarqué ce respect que le chirurgien disait qu’il avait eu pour moi ? Vraiment mon cœur, tout troublé, tout effrayé qu’il avait été d’abord, avait bien recueilli ces petits traits-là ; et ce que madame de Miran avait conclu de ce respect ne lui était pas échappé non plus.

S’il la respecte, il l’aime donc beaucoup, avait-elle dit, et j’étais tout à fait de son avis ; la conséquence me paraissait fort sensée et fort satisfaisante : de sorte qu’en ce moment j’avais de la honte, de l’inquiétude et du plaisir ; mais ce plaisir était si doux, cette idée d’être véritablement aimée de Valville eut tant de charmes, m’inspira des sentiments si désintéressés et si raisonnables, me fit penser si noblement ; enfin, le cœur est de si bonne composition quand il est content en pareil cas, que vous allez être édifiée du parti que je pris ; oui, vous allez voir une action qui prouva que Valville avait eu raison de me respecter.

Je n’étais rien, je n’avais rien qui pût me faire considérer ; mais à ceux qui n’ont ni rang ni richesses qui en imposent, il leur reste une âme, et c’est beaucoup ; c’est quelquefois plus que le rang et la richesse, elle peut faire face à tout. Voyons comment la mienne me tirera d’affaire.

Madame Dorsin répliqua encore quelque chose à madame de Miran sur ce qu’elle venait de dire.

Cette dernière se leva pour s’en aller, et dit : Puisqu’il dîne demain chez vous, tâchez donc de le disposer à ce mariage ; pour moi, qui ne puis me rassurer sur l’aventure en question, j’ai envie, à tout hasard, de mettre quelqu’un après