Page:Marivaux - La Vie de Marianne.pdf/200

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mon fils ou après son laquais, quelqu’un qui les suive l’un ou l’autre, et qui me découvre où ils vont : peut-être saurai-je par là quelle est la petite fille, supposé qu’il s’agisse d’elle, et il ne sera pas inutile de la connaître. Adieu, Marianne ; je vous reverrai dans deux ou trois jours.

Non, lui dis-je en laissant tomber quelques larmes, non, madame ; voilà qui est fini : il ne faut plus me voir, il faut m’abandonner à mon malheur : il me suit partout, et Dieu ne veut pas que j’aie jamais de repos.

Quoi ! que voulez-vous dire ? me répondit-elle ; qu’avez-vous, ma fille ? D’où vient que je vous abandonnerais ?

Ici mes pleurs coulèrent avec tant d’abondance, que je restai quelque temps sans pouvoir prononcer un mot.

Tu m’inquiètes, ma chère enfant ; pourquoi donc pleures-tu ? ajouta-t-elle en me présentant sa main comme elle avait déjà fait quelques moments auparavant. Mais je n’osais plus lui donner la mienne. Je me reculai honteuse, et avec des paroles entrecoupées de sanglots : Hélas ! madame, arrêtez, lui dis-je ; vous ne savez pas à qui vous parlez, ni à qui vous témoignez tant de bontés. Je crois que c’est moi qui suis votre ennemie, que c’est moi qui vous cause le chagrin que vous avez.

Comment ! Marianne, reprit-elle étonnée, vous êtes celle que Valville a rencontrée, et qu’on porta au logis ? Oui, madame, c’est moi-même, lui dis-je, je ne suis pas assez ingrate pour vous le cacher ; ce serait une trahison affreuse, après tous les soins que vous avez pris de moi, et que vous voyez bien que je ne mérite pas, puisque c’est un malheur pour vous que je sois au monde ; et voilà pourquoi je vous dis de m’abandonner. Il n’est pas naturel que vous teniez lieu de mère à une fille orpheline que vous ne connaissez pas, pendant qu’elle vous afflige, et que c’est pour l’avoir vue que votre fils refuse de vous obéir. Je me trouve bien confuse de voir que vous m’ayez tant aimée, vous qui devez me vouloir tant de mal. Hélas ! vous y êtes bien trompée, et je vous en demande pardon.

Mes pleurs continuaient ; ma bienfaitrice ne me répondait