Page:Marivaux - La Vie de Marianne.pdf/201

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point, mais elle me regardait d’un air attendri, et presque la larme à l’œil elle-même.

Madame, lui dit son amie en s’essuyant les yeux, en vérité cette enfant me touche ; ce qu’elle vient de vous dire est admirable : voilà une belle âme, un beau caractère !

Madame de Miran se taisait encore, et me regardait toujours.

Vous dirai-je à quoi je pense ? reprit tout de suite madame Dorsin : vous êtes le meilleur cœur du monde, et le plus généreux ; mais je me mets à votre place, et après cet événement-ci il se pourrait fort bien que vous eussiez quelque répugnance à la voir davantage ; il faudra peut-être que vous preniez sur vous pour lui continuer vos soins. Voulez-vous me la laisser ? Je me charge d’elle en attendant que tout ceci se passe. Je ne prétends pas vous l’ôter, elle y perdrait trop ; et je vous la rendrai dès que le mariage de votre fils sera conclu, et que vous me la redemanderez.

À ce discours, je levai les yeux sur elle d’un air humble et reconnaissant, à quoi je joignis une très humble et très légère inclination de tête ; je dis légère, parce que je compris dans mon cœur que je devais la remercier avec discrétion, et qu’il fallait bien paraître sensible à ses bontés, mais non pas faire penser qu’elles me consolassent, comme en effet elles ne me consolaient pas. J’accompagnai le tout d’un soupir ; après quoi madame Dorsin, reprenant la parole, dit à ma bienfaitrice : Voyez, consultez-vous.

De grâce, un moment, répondit madame de Miran : tout à l’heure je vais vous répondre : laissez-moi auparavant m’informer d’une chose.

Marianne, me dit-elle, n’avez-vous point eu de nouvelles de mon fils depuis que vous êtes ici ?

Hélas ! madame, répondis-je, ne m’interrogez point là-dessus ; je suis si malheureuse, que je n’aurai encore que des sujets de douleur à vous donner, et vous n’en serez que plus en colère contre moi ; il est juste que vous m’ôtiez votre amitié, et que vous laissiez là une fille qui vous est si contraire ; mais il ne vous servira de rien de la haïr da-