Page:Marivaux - La Vie de Marianne.pdf/202

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vantage, et je voudrais m’exempter de cela. Ce n’est pas que je refuse de vous dire la vérité ; je sais bien que je suis obligée de vous la dire, c’est la moindre chose que je vous doive ; mais ce qui me retient, c’est la peine qu’elle vous fera, c’est la rancune que vous en prendrez contre moi, et toute l’affliction que j’en aurai moi-même.

Non, ma fille, non, reprit madame de Miran ; parlez hardiment, et ne craignez rien de ma part : Valville sait-il où vous êtes ? est-il venu ici ?

Ce discours redoubla mes larmes ; je tirai ensuite de ma poche la lettre que j’avais reçue de Valville et que je n’avais pas décachetée ; et la lui présentant d’une main tremblante : Je ne sais, lui dis-je à travers mes sanglots, comment il a pu découvrir que j’étais ici, mais voilà ce qu’il vient de me donner lui-même.

Madame de Miran la prit en soupirant, l’ouvrit, la parcourut, et jeta les yeux sur son amie, qui fixa aussi les siens sur elle ; elles furent toutes deux assez longtemps à se regarder sans se rien dire ; il me sembla même que je les vis pleurer un peu : et puis madame Dorsin, en secouant la tête : Ah ! madame, dit-elle, je vous demandais Marianne ; mais je ne l’aurai pas, vous la garderez pour vous.

Oui, c’est ma fille plus que jamais, répondit ma bienfaitrice, avec un attendrissement qui ne lui permit de dire que ce peu de mots, et sur-le-champ elle me tendit une troisième fois la main, que je pris alors du mieux que je pus, et que je baisai mille fois à genoux, si attendrie moi-même, que j’en étais comme suffoquée. Il se passa en même temps un moment de silence qui fut si touchant, que je ne saurais encore y penser sans me sentir remuée jusqu’au fond de l’âme.

Ce fut madame Dorsin qui le rompit la première. Est-ce qu’il n’y a pas moyen que je l’embrasse ? s’écria-t-elle. Je n’ai de ma vie été si émue que je le suis ; je ne sais plus qui des deux j’aime le plus, ou de la mère, ou de la fille.

Ah çà ! Marianne, me dit madame de Miran, quand tous