Page:Marivaux - La Vie de Marianne.pdf/203

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nos mouvements furent calmés, qu’il ne vous arrive donc plus, tant que je vivrai, de dire que vous êtes orpheline ; entendez-vous ? Venons à mon fils.

C’est sans doute madame Dutour, cette marchande chez qui vous demeuriez, qui lui aura dit où vous êtes.

Apparemment, répondis-je ; je ne le lui ai pourtant pas dit à elle-même, et je n’avais garde, puisque j’ignorais le nom du couvent quand j’y suis entrée ; mais l’homme dont j’ai été obligée de me servir pour faire porter mes hardes ici, est de son quartier ; ce sera lui qui le lui aura appris : et puis M. de Valville, qui me fit suivre par un laquais, lorsque je sortis de chez lui en fiacre, et qui a su que j’étais descendue chez madame Dutour, a sans doute interrogé cette bonne dame, qui n’aura pas manqué de lui apprendre tout ce qu’elle en savait ; c’est ce que j’en puis juger ; car pour moi, il n’y a point de ma faute : je n’ai jamais contribué en rien à tout ce qui est arrivé, et une marque de cela, c’est que depuis ce temps-là je n’ai entendu parler de M. de Valville que d’aujourd’hui ; il ne m’a donné sa lettre que cet après-midi, encore ne me l’a-t-il rendue que par finesse.

Je n’eus pas plutôt lâché ce dernier mot que j’en sentis toute la conséquence : c’était engager madame de Miran à m’en demander l’explication ; le déguisement de Valville était un article que j’aurais peut-être soustrait à sa connaissance, sans blesser la sincérité dont je me piquais avec elle ; et j’étais indiscrète à force de candeur.

Mais enfin le mot était dit, et madame de Miran n’avait plus besoin que l’expliquasse, elle savait déjà ce qu’il signifiait. Par finesse ! me répondit-elle ; je suis donc au fait, et voici comment.

C’est qu’en sortant de carrosse dans la cour du couvent, j’ai vu par hasard un jeune homme en livrée qui descendait de ce parloir-ci, et j’ai trouvé qu’il ressemblait tant à mon fils, que j’en ai été frappée ; j’ai même pensé vous le dire, madame. À la fin pourtant j’ai regardé cela comme une chose singulière à laquelle je n’ai plus fait d’attention : mais à présent, Marianne, que je sais que mon fils vous aime,