Page:Marivaux - La Vie de Marianne.pdf/209

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« Il y a trois semaines que je vous cherche, mademoiselle, et que je meurs de douleur. Je n’ai pas dessein de vous parler de mon amour ; il ne mérite plus que vous l’écoutiez. Je ne veux que me jeter à vos pieds, que vous montrer l’affliction où je suis de vous avoir offensée ; je ne veux que vous demander pardon, non pas dans l’espérance de l’obtenir, mais afin que vous vous vengiez en me le refusant. Vous ne savez pas combien vous pouvez me punir : il faut que vous le sachiez ; je ne demande que la consolation de vous l’apprendre. »

C’était là à peu près ce que contenait la lettre ; elle me pénétra, et j’avoue que mon cœur en secret n’en perdit pas un mot ; je crois même que madame de Miran s’en aperçut ; car elle me dit, en me regardant : Ma fille, ce billet vous touche, n’est-ce pas ? Je ne dirai point que non, ma mère, je ne sais point mentir, répondis-je ; ne craignez rien pourtant, je n’en ferai pas mon devoir avec moins de courage ; au contraire.

Mais, repartit-elle, de quelle offense parle-t-il donc ? De la mauvaise opinion qu’il témoigna avoir de moi, quand il trouva M. de Climal à mes genoux, repartis-je ; et depuis qu’il a reçu ma lettre, où je le priais de remettre le paquet de hardes à son oncle, il a bien vu qu’il s’était trompé sur mon compte, et que j’étais innocente ; et voilà pourquoi il a mis qu’il m’a offensée.

Sur ce pied-là, dit madame Dorsin, ce qu’il lui écrit marque bien autant de probité que d’amour. J’aime à le voir rendre justice à la vertu de Marianne ; c’est le procédé d’un honnête homme ; et plus il estime votre fille, moins elle aura de peine à l’amener à ce que la raison et la conjoncture présente exigent qu’il fasse : comptez là-dessus.

Vous me persuadez, répondit ma bienfaitrice : mais il est temps de nous retirer ; finissons. Nous convenons donc que Marianne écrira à Valville. Il ne s’agit que d’un mot, lui dis-je ; et je puis tout à l’heure l’écrire devant vous, madame : voici de l’encre et du papier dans ce parloir.