Page:Marivaux - La Vie de Marianne.pdf/210

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Eh bien ! soit, ma fille ; écris, tu as raison, une ligne suffira. Et sur-le-champ je fis ce billet-ci :

« Je n’ai pu vous parler tantôt, monsieur ; et j’aurais pourtant quelque chose à vous dire. »

Mais, ma mère, quand le prierai-je de venir ? dis-je alors à madame de Miran en m’interrompant.

Demain à onze heures du matin, me répondit-elle.

« Et je vous serais obligée, ajoutai-je en continuant d’écrire, de venir ici demain à onze heures du matin ; je vous attendrai. Je suis… » Et toujours Marianne au bas.

Je mis dessus le billet l’adresse telle que ma bienfaitrice me la dicta ; elle se chargea de le cacheter, de le faire porter par quelque domestique du couvent, à qui elle parlerait en s’en retournant, et je le lui donnai.

Je t’avertis que je me trouverai aussi au rendez-vous, ma fille, me dit-elle lorsqu’elle me quitta ; j’y arriverai seulement quelques instants après lui, pour te laisser le temps de lui dire que je t’ai rencontrée dans ce couvent, que c’est moi qui t’y ai mise en pension, et que dans nos entretiens le hasard t’a appris que j’étais sa mère ; que je t’ai dit qu’il me chagrinait ; que depuis qu’il avait vu une jeune personne qu’on avait portée chez moi, et dont tu ajouteras que je t’ai conté l’histoire, il refusait de terminer un mariage qui était arrêté : je me montrerai là-dessus comme si j’arrivais pour te voir ; et puis de sera à toi, ma fille, a achever le reste. Adieu, Marianne, jusqu’à demain. Adieu, ma chère enfant, me dit aussi madame Dorsin ; je suis votre bonne amie au moins, ne l’oubliez pas ; jusqu’au revoir, et ce sera bientôt ; je veux qu’au premier jour elle vienne dîner avec vous chez moi, madame ; si vous ne me l’amenez pas, je viendrai la chercher, je vous en avertis.

Je serai de la partie la première fois, dit madame de Miran, après quoi je vous la laisserai tant qu’il vous plaira.

Je ne répondis à tout cela que par un sourire et par une profonde révérence ; elles s’en allèrent, et je restai dans une situation d’esprit assez paisible.