Page:Marivaux - La Vie de Marianne.pdf/21

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veut, au théâtre, des événements et des passions, et non pas d’imperceptibles mouvements du cœur finement et gracieusement indiqués. La surprise de l’amour tant que vous voudrez ; mais en fin de compte, toutes ces surprises se ressemblent quand on n’y regarde pas de très près. Que les amants cachent leur amour parce qu’ils l’ignorent, ou bien qu’ils ignorent cet amour, parce que cet amour est caché ; que cet amour se cache parce qu’il est timide, ou qu’il se cache parce qu’il hésite entre deux penchants, le parterre ne donnerait pas ça pour savoir le comment de ces surprises : heureusement l’auteur se sauve-t-il à force d’esprit, de style, de talent et de goût. C’est qu’en effet cet heureux esprit, cette douce gaieté, cette bienveillance infinie ne l’abandonnent pas un seul instant. Marivaux est un de ces hommes qu’on ne peut ni lire, ni entendre tout d’un coup ; il faut, pour s’y plaire, une certaine habitude de cette façon de parler et d’écrire. Ne vous étonnez donc pas tout d’abord de cette verve railleuse, de ce dialogue haché menu, de ces petits bons mots d’où jaillit l’éclair, et surtout ne dites pas que l’écrivain y met de l’affectation ou de la recherche ; vous courriez en ceci non pas le danger de mal juger notre écrivain, ce qui serait déjà un malheur pour vous, mais le danger bien plus grand de répéter niaisement une banalité courante dans tous les cours de littérature. C’est une chose peu vraisemblable et qui est pourtant très vraie, Marivaux ressemble en ceci à Diderot lui-même ; l’un et l’autre ils écrivent comme ils parlent, Diderot avec une emphase éloquente, Marivaux avec une grâce exquise et une politesse raffinée. Tout loyal et tout honnête homme qu’il était, l’auteur de Marianne allait à la vérité bien moins par les routes fréquentées que par les