Page:Marivaux - La Vie de Marianne.pdf/212

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Il m’a avoué depuis que le peu de façons que j’y faisais l’avait inquiété : et effectivement ce n’était pas trop bon signe ; une pareille visite n’avait plus l’air d’intrigue : elle était trop innocente pour promettre quelque chose de bien favorable.

Quoi qu’il en soit, onze heures venaient de sonner, quand l’abbesse elle-même vint m’annoncer Valville.

Allez, Marianne, me dit-elle, c’est le fils de madame de Miran qui vous demande ; elle me dit hier, après qu’elle vous eut quittée, qu’il viendrait vous voir : il vous attend.

Le cœur me battit, dès que j’appris qu’il était là. Je vous suis bien obligée, madame, répondis-je ; j’y vais ; et je partis. Mais je marchai lentement, pour me donner le temps de me rassurer.

J’allais soutenir une terrible scène ; je craignais de manquer de courage ; je me craignais moi-même ; j’avais peur que mon cœur ne servît lâchement ma bienfaitrice.

J’oubliais encore de vous parler d’un article qui me faisait honneur.

C’est que j’étais restée dans mon négligé, je dis dans le négligé où je m’étais laissée en me levant ; point d’autre linge que celui avec lequel je m’étais couchée ; linge assez blanc, mais toujours flétri, qui ne vous pare point quand vous êtes aimable, et qui vous dépare un peu quand vous ne l’êtes pas.

Joignez-y une robe à l’avenant, et qui me servait le matin dans ma chambre. Je n’avais, en un mot, que les grâces que je n’avais pu ôter, c’est-à-dire celles de mon âge et de ma figure, avec lesquelles je pourrai encore me soutenir, me disais-je bien secrètement, en moi-même, et si secrètement, que je n’y faisais point attention, quoique cela m’aidât à renoncer aux agréments que je ne me donnais pas, et dont je faisais un sacrifice à madame de Miran.

Ce n’est pas qu’elle eût songé à dire, ne vous ajustez point ; mais je suis sûre que dès qu’elle m’aurait vue ajustée, elle aurait tout d’un coup songé que je ne devais pas l’être.