Page:Marivaux - La Vie de Marianne.pdf/23

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qui vit encore aujourd’hui et dont la gloire victorieuse s’est dégagée de tant de gloires depuis longtemps oubliées, un succès si complet, cette chatoyante comédie qui se soutient, au théâtre, à côté même de la comédie de Molière, à quoi donc pouvez-vous attribuer une pareille fortune, sinon à l’originalité même de cet écrivain qui n’a jamais parlé que sa langue maternelle, de ce peintre du genre humain qui dans ses diverses peintures n’a jamais étudié et représenté que son propre cœur ?

Plus d’un critique a soutenu que, malgré tant d’heureux et habiles succès, Marivaux était plutôt fait pour écrire le roman que la comédie. Nous ne voyons pas la nécessité de prendre part à cette discussion au moins singulière, et cependant nous pouvons dire qu’en effet, l’homme à qui nous devons cet admirable roman de Marianne, est un romancier qui, dans notre estime, doit marcher immédiatement après l’auteur de Turcaret et de Gil Blas. Le Sage ! en voilà encore un qui a laissé les critiques dans le doute s’il était plutôt un grand poète comique qu’un grand romancier ; et certes, les critiques auraient pu s’épargner tant de peines en déclarant que les romans de Le Sage et ses comédies, c’était la même entreprise. En effet, où commence le roman dans les comédies de Le Sage ? où s’arrête la comédie dans ses romans ? Crispin rival de son maître, savez-vous un roman plus vif et plus net ? et le Gil Blas, savez-vous une comédie plus vaste et plus complète ? Comédie, roman, que nous fait le titre, quand il s’agit du même esprit qui nous instruit et qui nous amuse ? Que nous importe la forme, quand c’est le même fond, la même observation, la même philosophie, le même style ? Eh bien, ce qu’on peut dire de Le Sage, on peut le dire de Marivaux ; que Marivaux écrive une comédie ou qu’il écrive un