Page:Marivaux - La Vie de Marianne.pdf/24

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roman, rien ne sera changé dans votre émotion, dans votre intérêt, dans votre plaisir ; ce sera toujours la comédie du cœur, toujours le tendre intérêt des émotions les plus intimes ; toujours le même style fin, délié et souple, léger fil de soie et d’or au bout duquel se balance une goutte d’eau brillante comme le cristal. Seulement, et c’est ce qui est arrivé à Marivaux tout comme cela est arrivé à Le Sage, une fois que votre écrivain de comédies, lâché dans les vastes plaines du roman, sentira ses franches coudées, tenez-vous pour assuré que votre homme s’abandonnera, plus que jamais, aux instincts qui sont en lui. Ainsi quand il entreprit dans un moment d’oisiveté et de bonheur son histoire de Marianne, l’habile rêveur put se promettre que cette fois enfin il allait s’en donner à cœur joie. Cette fois plus d’empêchement, plus d’entrave, plus de parterre qui murmure lorsqu’il ne devine pas à l’instant même l’énigme proposée ; cette fois plus rien qui gêne notre caprice ou notre bon plaisir, pas même le bon plaisir de mademoiselle Comtat ou de mademoiselle d’Angeville, pas même le bon plaisir de mademoiselle Gaussin ou de Molé ; allons, c’en est fait, notre esprit est lâché par les monts, les plaines, sur les grands chemins, dans les salons, dans les mansardes, dans les boutiques de Paris et dans les monastères ; notre esprit est lâché à la suite d’une jeune et belle fille de seize ans, naïve autant que nous avons pu la faire naïve ; allons, c’en est fait, notre esprit a la bride sur le cou, il ne s’agit plus que de le laisser courir. À coup sûr ce fut là un beau moment dans la vie de Marivaux. À coup sûr il a commencé ce livre par un beau jour de printemps, et il y a travaillé avec amour. Non pas que ce récit une fois commencé, ait été terminé presque