Page:Marivaux - La Vie de Marianne.pdf/25

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aussi vite ; le roman à la vapeur n’avait pas été inventé dans ce siècle à qui nous devons les Lettres persanes et le Gil Blas. Quand parut la première partie de la Marianne, l’année 1728 commençait à peine ; quand parut la deuxième partie, l’an 1734 venait de finir. Il ne mit donc que six années à écrire les deux premières parties de son livre, mais aussi trouva-t-il qu’il allait un peu trop vite, et que sa belle Marianne lui échappait. Aussi prit-il son temps plus à l’aise ; il demanda encore à ses lecteurs onze années de patience, et pendant ces onze années il publia, chapitre par chapitre, les suites diverses de cette charmante histoire. Ce fut en tout seize années qu’il employa, non pas pour achever l’histoire de Marianne, car Marivaux ne l’a jamais achevée ; mais pour arriver à l’avant-dernier chapitre. De son côté, ce XVIIIe siècle si turbulent, si occupé, tout rempli de tant d’émotions furibondes et de tant d’intérêts si divers, pendant seize années il a demandé où en était l’histoire de Marianne ? Une fois arrivé au dernier chapitre, bonsoir la compagnie ! il fallut que madame Riccoboni se mît en frais de bonne grâce et de gentillesses pour ajouter un dénoûment à cette histoire attendue avec une patience si exemplaire. Seize ans de constance et d’attention pour un simple récit qui suffirait à peine à défrayer un seul de nos journaux pendant deux mois

Quelle était donc cette Marianne, louée à la fois par Palissot, par La Harpe, par d’Alembert, qui pendant seize longues années tenait tout ce peuple attentif, le peuple des romans de Crébillon, des contes de Voisenon, du Temple de Gnide ; que disons-nous ? le peuple de la Nouvelle Héloïse et des Liaisons Dangereuses ? Cette jeune fille, Marianne, qui excitait en France pres-