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Où en étions-nous de mon histoire ? encore chez madame Dorsin, de chez qui je vais sortir.

Je supprime les caresses qu’elle me fit, et tout ce que les messieurs avec qui j’avais dîné dirent de galant et d’avantageux pour moi.

Il vint quelqu’un, madame de Miran saisit cet instant pour se retirer ; nous la suivîmes, Valville et moi ; son amie courut après nous pour nous embrasser, et nous voilà partis pour me reconduire à mon couvent.

Dans tout ceci je n’ai fait aucune mention de Valville ; qu’est-ce que j’en aurais dit ? Qu’il avait à tout moment les yeux sur moi, que je levais quelquefois les miens sur lui, mais tout doucement, et comme à la dérobée ; que, lorsqu’on me parlait, je le voyais intrigué, et comme en peine de ce que j’allais répondre, et regardant ensuite les autres, pour voir s’ils étaient contents de ce que j’avais répondu ; ce qui, à vous dire vrai, leur arrivait assez souvent. Je crois bien que c’était un peu par bonté ; mais il me semble, autant qu’il m’en souvient, qu’il y entrait un peu de justice. J’avoue que je fus d’abord embarrassée, et mes premiers discours s’en ressentirent ; mais cela n’alla pas si mal après, et je me tirai passablement d’affaire, même au sentiment de madame de Miran, qui, tout en badinant, me dit dans le carrosse : Eh bien ? petite fille, la compagnie que nous venons de quitter est-elle de votre goût ? Vous êtes assez du sien, à ce qu’il m’a paru, et nous ferons quelque chose de vous. Oui-dà, dit Valville sur le même ton, il y a lieu d’espérer que mademoiselle Marianne ne déplaira pas dans la suite.

Je me mis à rire ; hélas ! répondis-je, je ne sais ce qui en arrivera, mais il ne tiendra pas à moi que ma mère ne se repente point de m’avoir prise pour sa fille ; et ce fut en continuant ce badinage que nous arrivâmes au couvent.

Serons-nous longtemps sans la revoir ? dit Valville à madame de Miran, quand il me donna la main pour m’aider à descendre de carrosse. Je pense que non, reprit-elle ; il y