Page:Marivaux - La Vie de Marianne.pdf/26

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que autant d’intérêt que Clarisse Harlowe en Angleterre, était tout simplement une enfant aux prises avec le malheur et se tirant du milieu du vice parisien, à force de simplicité et d’innocence. Certes ce n’est pas là la sainte Clarisse Harlowe, l’austère puritaine, livrant cet abominable combat contre le féroce et tout-puissant Lovelace, et finissant par succomber ; c’est tout simplement une pauvre fille d’un sens droit, d’une âme honnête, d’un cœur candide, qui passe à travers toutes les séductions sans les avoir même comprises, à travers tous les vices sans les avoir touchés même du pan de sa robe virginale. À coup sûr l’intérêt que nous inspire Clarisse Harlowe n’est pas le même que l’intérêt qui nous pousse vers la Marianne de Marivaux. Celle-ci nous épouvante à force de vertu et de grandeur d’âme, celle-là nous plaît et nous touche à force de naïveté, de grâce et de bon sens. L’une représente, à elle seule, l’honneur immaculé des trois royaumes ; l’autre ne représente que la vertu, l’innocence et la gloire de Marianne. Dans la personne de la première, ont été souillées et flétries toutes les nobles filles de l’Angleterre ; mais la seconde n’a sauvé que la bonne renommée de Marianne. Aussi avec quel zèle et quel courage Marivaux la défend, cette noble création de son génie, comme il la conduit par la main à travers tous ces écueils ! Que d’ironie, que de sarcasme, que d’éloquence touchante il sait jeter sur le chemin de cette belle fille ! Jamais il n’avait rien écrit avec tant de soin, tant de zèle ; d’un esprit si libre, d’une âme si contente. Marianne, c’est l’œuvre de prédilection de Marivaux ; c’est le château qu’il élève à ses heures perdues dans les Espagnes imaginaires ; c’est le conte qu’il se fait à lui-même, et qui lui fait verser, non pas des larmes